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Dossier pédagogique de Murs de Fresnes
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Les Murs parlent exposition et expérience VR au Musée de la Résistance de Limoges du 21 mai au 19 septembre 2022
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21.09.19
Dans le cadre des journées du patrimoine, suite de la sortie de résidence au Théâtre de Châtillon, 21.09.2019
Séance de test suite à une résidence du 9 au 21 septembre 2019 au Théâtre de Châtillon 21.09.2019
20.09.19
Sortie de résidence au Théâtre de Châtillon, 20.09.2019
Séance de test avec le parcours de 3 personnages du spectacle, dans le cadre de la résidence de Murs de Fresnes du 9 au 21 septembre 2019.
06.07.19
Résidence du spectacle Murs de Fresnes à l’Institut Méditerranéen des Métiers du Spectacle du 24 juin au 6 juillet 2019
22.02.19
Extraits du spectacle Murs de Fresnes
Découvrez les extraits des personnages travaillés lors de la résidence au théâtre Le Prisme d’Élancourt
26.10.18
Avis de recherche
Dans le cadre d’un spectacle sur la prison de Fresnes durant l’occupation, nous recherchons des informations sur les résistants communistes FTP Huguette Prunier, alias Juliette (née le 19/09/1913 à Paris 18 de Louis Alexandre Prunier et de Fernande, Eugénie Lecorchey), sténo-dactylo, et son compagnon Robert Blache (1898 à Paris 15 de Joseph Blache et d’Élisabeth, Célestine Lihard), secrétaire du Secours Rouge et secrétaire de rédaction de l’Humanité.
Membres du réseau l’Orchestre Rouge, ils furent chargés de transmettre des informations par poste radio par Maurice Berlemont et Fernand Pauriol. Repéré par la Gestapo, le couple fut arrêté au Raincy le 1er juin 1943 en compagnie de Roland Madigou (1920-1944), dit Michel.
Leur sort après leur incarcération à Fresnes reste incertain. On ne sait s’ils furent exécutés à Fresnes ou au Mont-Valérien, ou encore ailleurs. Prunier serait morte le 5 août 1944 et Blache le 15 janvier 1944. Huguette Prunier avait un fils, Serge Riché, né en 1933.
Étant donné les sources consultées contradictoires, tout renseignement sur leur
engagement dans la Résistance, leur fin et leur descendance est le bienvenu. Nous avons connaissance du livre de Calet, Les murs de Fresnes, mais pas des lettres d’adieu écrites par Prunier, voire par Blache.
Contact : mabel@mabeloctobre.net — 09 81 98 60 61

Huguette Prunier et son fils Serge
25.10.18
Atelier écriture Fresnes 6
Jusqu’au dernier souffle
Il fait nuit dans une chambre d’hôpital. Seules quelques lampes tempête éclairent la pièce. Une infirmière termine des soins auprès d’un homme alité et elle commence à s’en aller.
Plus le temps passera, plus les lumières s’éteindront.
Merci mam’zelle… T’as été mignonne avec moi, tu veux bien l’être une dernière fois… Je sens que je pars bientôt et j’ai jamais tout raconté d’ma vie, j’ai jamais lâché l’morcif, pas un mot depuis l’début. Allez, pose-moi ton plateau là-bas et ce joli popotin ici, ouvre grand tes esgourdes parce que j’pense pas y survivre, j’ai jamais rien balancé, même pas à la Gestapo, même pas à Fresnes. Trois fois en tout que j’y suis passé, la vache ! Huit fois je me suis fait la malle d’un peu partout. Deux fois d’Allemagne, de Fresnes, d’Eysses, depuis le train, en pleine rue et aussi une fois bien malgré moi puisque « on » m’a évadé sans que je sois au courant… Il reste cette dernière évasion pour laquelle j’ai un avis mitigé. J’ai bien réussi mais ce fichu bout d’plomb dans les bronches était celui d’trop… Maintenant je crève sans avoir revu ma môme et mon fiston ; sans avoir revu ma belle butte de Pigalle…
** rires et toux **
Merci encore ma jolie. Tu sais, j’en ai vu des mecs clamsés et je sais que j’vais leur ressembler sous peu. Si si, dis pas d’sottises poupée, j’les ai entendus les carabins, y croivent même que j’aurai dû passer l’arme à gauche depuis lurette. Alors si t’as plus rien à faire, tu pourras entendre une histoire pas piquée des hannetons, j’te promets que tout est vrai. Faudrait au moins Cary Grant dans le rôle tellement ça décoiffe !
Alors j’suis né en 1906 dans une piaule sous les tuiles rue des Abbesses à Pigalle. J’me souviens pas très bien d’ma mère qu’était vendeuse de rue, seulement qu’un jour mon oncle Marcel m’a amené avec lui parce qu’elle était malade. Puis du trou dans l’cimetière et après, y a eu la guerre, la Der des Der qu’ils disaient. C’est là que j’ai vraiment appris la débrouille, y avait rien à becter, que des rats et d’la bouillie, toujours d’la bouillie. Plein d’gens sont morts pour rien, comme l’oncle Marcel qu’a laissé ses entrailles dans les tranchées. Depuis, les Teutons j’peux pas les voir en peinture. Tu vois, ma haine était bien justifiée parce qu’ils ont remis ça les vaches ! En tout cas, c’est grâce à ces premiers envahisseurs que j’suis devenu c’que j’suis et que j’ai appris à esquiver les forces de l’ordre.
J’étais toujours fourré avec les copains à faire les 400 coups. Comme on avait pas d’sous, on avait décidé de prendre sans demander. Ce qui nous avait coûté bien des poursuites et des bagarres ! Pis un beau jour, ma pauv’tante Mimi en a eu assez de venir m’chercher au poste comme de m’voir revenir sous l’aile d’un poulaga et elle a voulu m’envoyer à la cambrousse. C’est alors, qu’à l’âge de 12 ans j’suis devenu indépendant. J’ai fait un baluchon et j’ai rejoint mon premier maquis, avec d’autres gars des rues d’Montmartre. Pis un beau jour on a découvert la planque de quatre filles qu’étaient comme nous, affranchis de parenté. Avec Louis qu’était le plus âgé de notre bande – moi j’étais le plus malin qu’ils disaient, on a décidé de les protéger, elles nous feraient à manger en échange. Puis on est devenus des hommes et elles des femmes. Il nous fallait désormais de l’artiche. Alors on a monté notre premier bordel rue des Martyrs. A 14 ans, j’étais pas bien grand mais j’avais de grandes idées ! C’était sans compter sur la concurrence et les jaloux. J’ai appris par la suite que y avait rien de pire que la jalousie. On a été balancés par les gars de Belleville, moi, j’me suis retrouvé avec Loulou chez les mineurs à la Santé et les filles dans un pensionnat quelque part en Auvergne. Faut pas m’en vouloir, on a fait tout ça ensemble, pour se protéger entre nous. Elles vendaient leur pain de fesse et tout I’ monde mangeait à sa faim. On mangeait même mieux que les prolos qui s’usaient la santé pour offrir des automobiles aux grossiums et des bijoux à leurs maîtresses ! Et les filles avaient une garde-robe de toutes les couleurs, un toit sans fuite et même le gaz !
Après cette première dans les geôles de la république, j’me suis toujours arrangé pour passer entre les mailles du filet. Et il faut dire aussi que j’étais pas trop gourmand. Enfin, jusqu’à ce que Louis, mon vieux compagnon de castagne et de cellule, a voulu manger le bif d’un autre. Un autre qui avait ses entrées place Beauveau… Ça lui a coûté la vie à Loulou et à moi, pour me faire taire, un ptit tour en exil dans la prison de Metz. Ça c’était fin 38. Malgré le froid, j’allais faire cette année sur une jambe. Enfin, c’est ce que je croyais.
Il te fallait cette toile de fond pour piger quel était l’bonhomme que j’étais en 1939. Les Boches faisaient du bruit à nouveau et sans prévenir sont allé casser les oreilles des Polaks avant de nous chercher des noises. C’est alors qu’on m’a proposé d’aller leur botter les fesses à la place de finir ma peine en zonzon. Crois-moi, j’étais plus que volontaire et c’est pas un colon qui en voulait à mes tatouages qui allait m’en empêcher. C’est ainsi que je me suis retrouvé en moins de deux entraîné et en godillots prêt à prendre la relève de mon vieil oncle Marcel. Il était pas aussi chaud que moi pour sûr !
***toux***
On entendait des rumeurs folles à propos de hordes de Panzers mais j’allais les arrêter, moi et ma haine. Ma première mission était d’garder un mirador toute une nuit sur la ligne Maginot. Comme on était en mai, il faisait doux et rien ne laissait présager de ce qui allait nous arriver. Ils seraient pas là avant un jour ou deux parce qu’il pouvaient pas traverser cette foutue forêt qu’on nous a dit… Tu parles, tout à coup, sortis de nulle part, une dizaine de chars s’est mis à nous pilonner pendant que des milliers de fantassins avançaient sur nous. J’en ai aligné un dans mon viseur et j’ai appuyé sur la détente… Rien ! Cette arquebuse s’est enrayée ! Sans même avoir craché son premier pruneau ! C’est furieux que j’ai attrapé mon poignard, certain d’en découdre pour la dernière fois, mais avec du raisin d’outre-Rhin sur les mains – et en pestant contre l’état-major qui nous avait refourgué des pétoires de pacotille, quand braouf ! Je me suis retrouvé pris dans le souffle d’un obus qui a éparpillé la guérite que j’venais d’quitter à l’abordage de la faucheuse casquée. Le moment d’après, un Mauser me fixait pile entre les deux yeux. Encore sonné j’étais l’un des tous premiers prisonniers de guerre français.
On était douze du poste avancé à encore posséder nos deux guibolles intactes alors on nous a mis en route vers l’est à pinces. Le premier soir on a retrouvé une centaine d’autres gars pris eux aussi par une déferlante de fer et de feu. Trois jours à crapahuter dans le sens inverse de troupes fraîches et bien armées ont suffi à nous persuader que la guerre était d’ores et déjà terminée. Que valaient nos forces face à ces machines de guerre ? La mécanique allemande bien huilée déployait toute sa puissance face à la première ligne française balayée d’une chiquenaude. Comment c’était possible ? Personne n’a rien vu venir ?
J’me suis vite trouvé une bande de dégourdis et on s’est senti pousser des ailes un soir qu’on avait trouvé une bouteille de gnôle dans la grange qu’on occupait pour la nuit. C’était les quelques gouttes de courage nécessaire pour des gars qui voient le piège se refermer sur eux et qui savent que leur survie passe par un coup risqué. On était déjà bien trop loin en Teutonnie pour savoir qu’on approchait d’notre camp de prisonniers. Et la bouteille était ce qu’il manquait pour une diversion.
On avait noué un petit lien avec un gardien, il se demandait bien ce qu’il faisait là et on avait pu négocier un peu de tabac. Alors la nuit venue, on a regroupé une vingtaine de camarades qui avaient autre chose que du caramel mou dans les veines et on a mis au point un plan. On a tous pris une petite rasade pour se donner du cran et on a appelé le Klaus d’un signe complice. Puis mon pote Robert lui a proposé une lichette. Ce sourire ma doué ! On l’avait hypnotisé. C’est alors qu’il se planquait pour s’enquiller un coup qu’on l’a estourbi et tiré dans la grange. On l’a dépouillé en vitesse et un Alsace qui parlait l’allemand a enfilé ses frusques. Si on était pris c’était un aller simple pour le peloton d’exécution ! Il est sorti et a attendu qu’une patrouille passe par là. Il les a appelés pour leur proposer un ptit coup de schnaps, et on a joué à bis repetita. Bing bang boum et hop trois Schleus au carreau. On avait alors trois fusils et deux pistolets. Alors on a tenté le tout pour le tout : on est sorti en courant vers la forêt. Là on s’est fait repérer et ça s’est mis à canarder dans tous les coins. Moi, j’me suis ouvert une voie à coup de pétard bien sentis, suivi de près par Robert et on s’est fondu dans le noir. Quel barouf mes aïeux ! Je ne sais pas combien s’en sont sortis mais on a entendu des coups de fusil une bonne partie de la nuit. Nous deux on filait droit, l’étoile polaire dans le dos, à la lueur d’un croissant de lune. Et c’est armé d’un pistolet dans lequel il restait 3 balles qu’on a réussi à retrouver notre chemin vers la maison.
Robert était de Dijon et très décidé d’y retourner. Tout comme moi, je n’avais qu’une envie : retrouver mes pénates. Alors après avoir volé de bosquet en forêt, de buisson en grange perdue, on a fini par se quitter du côté de Nancy.
J’arrête pas de croire que c’est ce qui m’a causé ma perte, lui, je n’en sais rien, mais moi, j’ai eu la faiblesse de croire la partie gagnée. Je les ai entendus trop tard. À deux, il y en avait toujours un de nous qui gardait un œil ouvert. Seul, le combat contre le sommeil était bien trop inégal et j’me suis fait cueillir au réveil par les condés. Les vaches ! Ils m’ont appris la traîtrise de Pétain, et par là, la leur ! Les salauds ils travaillaient pour les Boches ! Je n’y croyais pas jusqu’à ce que je les voie saluer l’ennemi qui tenait la mairie. Là j’ai été interrogé et remis dans une cellule. J’ai rien lâché d’autre que mon nom et mon matricule. J’te dis pas l’avoinée que j’me suis pris ! Moi qui m’étais juré qu’on ne m’y reprendrait pas, j’étais marron. Le lendemain, j’ai été envoyé avec un autre loustic – qui en avait pris plein la poire aussi, vers la frontière qui n’existait plus. On a ainsi rejoint d’autres prisonniers qui avaient tenté de s’échapper. C’était pas la joie j’t’assure. En tout cas, on a repris la route vers l’est, à pince-broc toujours. La tronche de traviole pour la plupart et des velléités d ‘émancipation bien plus ardentes que pour ma première randonnée prisonnière. Très vite on s’est regroupés entre audacieux et j’me suis juré de revoir la ville lumière avant la Noël.
C’est là que j’ai fait la rencontre de Fredo d’Marseille. Sacré loustic çui-là, il faisait dans l’explosif. Tu parles avec un daron mineur italoche du Piémont, l’était bercé au barouf d’la poudre. Comme il a commencé à creuser à la sortie du biberon il avait ça dans l’sang. Bref, y t’racontera son histoire si jamais tu l’trouves. Et dans ces cas-là, fais-lui suivre mes meilleures pensées.
C’est du côté de Mayence qu’on a pendu la crémaillère : dans un camp tout beau, tout propre. Un vrai camp militaire romain. Sauf qu’à la place d’une palissade en bois il y avait des grillages et des barbelés en double épaisseur. Pour ponctuer la silhouette du paysage, c’était entouré de miradors et des patrouilles avec clebs. Chaque baraquement était posé sur pilotis, c’était des cabanes en bois tout ce qu’il y a d’sommaire, en bois encore vert. À l’intérieur dix lits doubles décoraient les murs de droite et de gauche, une table et douze chaises avec un poêle au milieu, un bac pour la flotte au fond et un balai et la tinette. Pas d’place pour danser, ça tu peux en être sûre !
On a vite instauré des roulements et on a pris note des allers-retours et autres mouvements de nos amis frisés. Certains d’entre nous étaient de corvée à l’extérieur et on recevait des colis d’la Croix-Rouge. C’est comme ça qu’on a pu faire des réserves qu’allaient nous être utiles plus tard. On était souvent fouillés mais si tu n’mettais rien sous ton matelas, t’étais peinard. On a bien creusé des caches pour ce qui nous semblait le plus utile et pis faut l’avouer, on avait pas lerche à planquer.
Ah et y avait Schultz, un des gardiens, encore un gusman qui savait pas c’qu’il fichait là ni pourquoi son pays avait envahi le mien. Il avait peur qu’son fils serait amené à prendre les armes, déjà qu’il faisait partie des jeunesse hitlériennes … Alors, le Schultzy, y nous dépannait en feu – remplissant nos réserves d’allufs, en gnôle parfois et il faisait la liaison avec les autres baraquements. C’est comme ça qu’sous son nez on a monté notre évasion commune. La première évasion collective depuis un camp en Allemagne !
Le bois était encore vert j’te disais. Mais c’était surtout du sapin et on a fait des récoltes de sève. Dans la barque d’à côté y avait un chimiste qui avait la recette pour un engin explosif incendiaire. Avec les talents de Fredo, nous on a fabriqué d’autres engins plus éparpillant à partir de poudre récupérée et de boites de conserve, on appelait ça les ptits pois maison. Quelques menuisiers ont mis leurs talents au bénéfice du démontage des planchers. C’est comme ça que j’ai appris à retirer des clous avec des nèfles ! Et on a attendu une nuit de lune noire. Comme les baraques étaient alignées quatre par quatre, on a organisé une petite diversion au centre.
Tout le monde aurait sa chance. Tout était minuté et on espérait que les Boches seraient aussi prévisibles qu’on l’avait rêvé.
La relève des sentinelles était immuablement à minuit puis à 6 h 00. Faut dire que c’est pas de not’côté d’la planète que ça bardait l’plus. Donc à 3 h 00 les uns seraient au paroxysme de la lassitude tandis que les autres seraient bien serrés dans les bras de Morphée. Au centre donc des baraques, ils ont organisé un petit incendie maîtrisé pour attirer les gardiens sans réveiller tout le monde. On comptait sur notre comportement exemplaire des trois derniers mois pour faire passer ce petit incident pour rien d’bien grave. Visiblement ça a marché puisque deux Schleus sont venus s’faire assommer sans avoir prévenu leurs copains qu’ils quittaient leur poste. C’est alors qu’on a ouvert les planchers laissant ainsi la voie à un paquet de lascars prêts à en découdre. L’équipe du chimiste a rampé jusqu’aux abords des bâtiments ennemis pendant que nous on s’est dirigé vers le mirador qu’on avait envie de voir s’envoler, la dernière équipe était les plus fines gâchettes qui avaient hâte de faire du tir au pigeon vert-de-gris. Et le boucan commença. Crac-Pan, deux sentinelles sont tombées, et les aboiements des chiens ont bientôt été rattrapés par ceux des gardiens plus ou moins réveillés. La baraque la plus proche de l’entrée s’est éparpillée au quatre vents ce qui a rajouté un maximum de panique et a soufflé le sas de la guérite avec son poêle traficoté en mortier. Quand notre ange gardien a descendu les gars de notre mirador on a pu installer nos charges et nos prières. C’est à ce moment que les premiers Frisous sortis des casernes se sont faits accueillir par des explosions de feu. Ils ont dû se croire directement arrivés au crématorium de l’enfer les pauvres avec les grenades artisanales du chimiste. Ça a fichu un sacré bazar toutes ces flammes et les cris qui en sortaient ; désorientés, les Boches dehors faisaient absolument n’importe quoi : les uns tentaient d’éteindre l’bazar, les autres tiraient sur tout ce qui bougeait pendant que ceux encore enfermés craignaient d’rôtir à grand feu.
Quand nos charges ont explosé on a pu enfin se ruer vers la liberté. En quelques minutes, le camp on l’a mis à feu et à sang, on a dépouillé quelques Boches de leurs tuniques, casques et armes puis on a sauté dans divers véhicules à moteur. C’est comme ça que Fredo, deux copains et moi on a pris un camion direction l’Sud. On a coupé à travers le champ d’blé pour s’éviter les routes qui allaient être prises d’assaut par les renforts, alors on a cahoté comme on a pu à la lueur des seules étoiles. On a manœuvré ainsi jusqu’à l’aube, attentifs aux phares qui apparaissaient comme des lucioles en file indienne. J’avais comme idée d’lâcher l’camion aussitôt la visibilité revenue. C’est moins rapide à pinces mais c’est plus discret. Les deux artistes à l’arrière n’étaient pas d’cet avis et c’est avec force embrassades qu’eux sont partis par les routes officielles en espérant que leur coup de bluff allait passer. J’ai appris plus tard que leurs lacunes en allemand les avaient trahis, ça et leur tronche barbouillée. Nous avec Fredo, on a refait le coup des sauts de puce. Cette fois on est resté deux jusqu’à la fin. C’est en approchant d’la capitale qu’on a pu se faire servir une récente histoire des derniers événements et qu’on a rencontré les premiers résistants. Eux étaient au courant d’notre coup d’éclat et nous ont appris que peu ont réussi à s’en sortir. Les représailles ont été terribles il paraît et les populations autour étaient terrifiées à l’idée d’aider tout fugitif. D’ailleurs nous on serait quand-même mieux du côté d’chez nous. Alors on s’est dirigés vers l’Est parigot.
***boit un verre d’eau***
Comme tu 1’sais l’occupant était de plus en plus violent avec les populations et les SS sont arrivés rajouter de la haine à nos esprits et d’la trouille dans les bides. Nous on a sauté d’une planque à l’autre pendant deux semaines, le tout grâce à mon vieux pote de la Santé Jojo d’Montreuil. Lui, son turbin c’était l’casse et y préparait celui d’un entrepôt d’munitions. On l’a aidé en apportant notre main d’œuvre. On l’a fait péter l’entrepôt après l’avoir délesté d’un paquet d’explosifs et d’armes de poing. Des petites merveilles sorties d’usine. Tu nous aurais vu détaler sur nos vélos pendant que ça sautait d’partout ! C’était un coup monté par Grand-père, un de ses premiers coups si je n’m’abuse. Lui, c’était un bon, l’a été fusillé l’hiver dernier le pauvre. Bref, on a rejoint le réseau et trouvé comment on serait le plus utile à la France. C’est comme ça que Fredo est parti rejoindre les cheminots. Il trouvait que ses talents seraient plus utiles au sabotage et il avait fichtrement raison ! On a relayé par la suite nombre de ses exploits. J’ai eu la chance de le retrouver une fois mais c’est bien après. De mon côté, comme j’connaissais mon coin d’Paname comme ma poche et que j’avais un certain nouveau talent de perforateur de bulletin d’naissance, j’m’étais dit que j’pourrais reprendre mon service de micheton en couverture d’une activité moins avouable au service de la résistance. Je restais indépendant en gagnant ma vie triplement clandestine.
Bah oui, regarde, prisonnier de guerre évadé, micheton, cellule de sabotage pour la résistance. Et en réalité, je faisais aussi un peu de marché noir. Mais ça compte pas, c’était l’blot de tout mon monde.
Alors j’ai eu de nouveau vrais-faux fafs au nom de Gilles Percher, plombier de son état et réformé suite à un accident sur un chantier. Du coup, je devais marcher avec un caillou dans une godasse pour me rappeler que j’devais boiter pour cette partie-là de ma vie. J’ai pu retrouver mon quartier en loucedé.
J’avais gardé des piaules rue des Martyrs dont une qui avait le charme de posséder une issue de secours dans la rue de derrière. Très vite, je me suis trouvé deux autres appartements dans le même pâté d’maisons. Un pour bibi le mac’ et l’autre pour les filles qui allaient tourner. En sautant d’une cour à l’autre, je passais de Gilles Percher à Ptit Jean de Pigalle. Docteur en tuyaux le jour et Mister Jean la nuit. J’avoue avoir plus joué au deuxième personnage qu’au premier mais sans icelui, j’me serais fait serrer bien plus vite. Et en réalité, c’était mon apprenti qui faisait le travail quand j’étais obligé de justifier auprès de la société ma présence sur cette planète mais il jouait au facteur la plupart du temps ; j’m’demande c’qu’il est dev’nu l’ptit gars. Parfois j’avais une commande de la résistance – il fallait surtout saper les forces des collabos. Quand on s’en prenait aux bien Teutons, les représailles étaient trop sanglantes alors on se retenait pour des coups stratégiques. On organisait surtout des cambriolages même si parfois on devait en dessouder un ou deux. Bien souvent, j’utilisais mes connaissances faites dans les bas-fonds pour sous-traiter les cambrios, ça va pas chercher loin normalement mais pour mézigue ça aurait été plus grave au vu de mon palmarès récent. Alors je m’en tenais surtout à utiliser les deux pétoires que j’avais gardées depuis notre virée avec Jojo pour abréger l’existence d’un certain nombre de nuisibles. Je ne le recevais pas souvent cet ordre-là, j’en suis pas très fier mais je ne le regrette pas.
Tout se passait bien jusqu’à cette soirée chez Lucienne. On a découvert par la suite que c’est un jalmince de notre petite affaire commerciale avec Lyon qui nous a donnés. Heureusement que j’étais venu dans le rôle du plombier qui cherche à améliorer le quotidien. Remarque c’est seulement comme ça que je sortais de mon rayon habituel. Lucienne avait un estanco rue de Montorgueil à deux pas des Halles. C’est par là-bas qu’on faisait nos premiers pas avec Louis quand on était mômes. Elle nous avait planqués un soir que des louchébem nous avaient pris en chasse. Roh, ça me fait rire, on a troqué un onglet entier contre l’abri pour la nuit et le meilleur rôti depuis l’origine des temps. Elle non plus ne piffait pas les Teutons ! Une solide amitié est née ce soir-là en même temps qu’un de mes premiers réseaux. Bref ! Cette fois, j’étais venu chercher de la charcutaille et on buvait un gorgeon dans la cave en copains avec le boulanger qui achetait de la farine farcie comme il disait et qui était distributeur agrée en sauc’bacs. Quand ils sont arrivés les Fritz, on a d’abord entendu les bagnoles s’arrêter devant le rideau baissé puis des bottes qui se sont éparpillés. Les cris caractéristiques aboyés par le gradé qui nous informait que nous étions encerclés et que le mieux serait de sortir les mains en l’air. Seul, je leur aurais offert des promesses et des dragées quitte à y laisser la peau, mais ni Lucienne ni René le boulanger n’étaient armés et pour tout dire, René c’était pas le plus gonflé des zigotos que j’ai pu rencontrer. Alors j’ai tout endossé. D’ailleurs mon flingue prouvait bien que j’étais le plus bandit des trois. Dans mon studio ils ont bien trouvé divers produits de luxe qu’il n’y avait pas chez les deux autres et la réciproque n’était pas vrai. Même si les quantités étaient dans la cave du rade, Lucienne s’en est sortie sans trop de dommage ; sauf pour l’usage de son débit de boisson et de bonheur tandis que René est allé à la Santé, il a fait six mois en tout et le droit de se faire régulièrement ponctionner par cette sangsue de Jo les Gros Bras. Le plus incroyable, c’est qu’ils n’ont pas fait le lien entre les sacs de farine et le produit de la contrebande saisie. Faut dire que je les ai embrouillés jouant à tour de rôle la panique, l’hystérie, le remords pitoyable, les pleurs et geignements bref, la panoplie du cave pris la main dans le pot de confiture. Heureusement que c’était pas dans mon quartier parce que les condés m’auraient retapissé vite fait ! Faut dire aussi que c’était un peu le bazar. M’enfin, c’est comme ça que je me suis retrouvé à Fresnes pour la première fois. Droit commun que j’étais. L’hiver 40 arrivait… Il a fait vraiment froid cette année-là.
À Fresnes, j’ai serré les fesses, j’y étais sous un faux blaze et les chances de croiser des vieilles connaissances étaient nombreuses. Alors fallait se faire la malle rapidement. Et surtout fallait se gaffer des moutons qui étaient envoyés là par cette enflure de Lafont, c’était encore que des histoires, des rumeurs à ce moment-là. Mais je m’gaffais des rumeurs sur les balances et pour moi les choses étaient claires, je devais agir vite et bien pour dégager en vitesse. La vérité c’est que sans un coup du destin, mon échappée aurait été plus tardive.
Peu après mon arrivée, on a choisi un nouveau comptable, c’est le détenu qui accueille les nouveaux et qui s’occupe des cantines entre-autres. Il se trouve que celui-là je l’avais déjà croisé de loin à la Santé. Il a pris des biscotos mais moins que mézigue et j’étais tout jeunot à l’époque alors je pouvais tenter un coup de bluff. Un beau jour je me suis arrangé pour qu’on se croise et je lui lance « Alors Evrard, tu t’souviens pas des vieux aminches ? Gilou ! Gilou de Pigalle, on s’est rencontré à la Santé en 1920 ! » Et comme je savais qu’il traînait avec Japonais de Bercy mais que lui il a cassé sa pipe avant la guerre, ben je l’ai cité. Et du coup il s’en est rappelé de Gilou d’Pigalle ! Ah ! J’en ris encore… Remarque, ma bobine devait lui être familière… De fil en aiguille on a sympathisé puis il m’a obtenu une cellote au 5è étage mieux aérée possédant une plus belle vue. Puis un beau jour il a déboulé et m’a emmené faire un tour où il m’a expliqué qu’il allait se natchave, qu’il avait besoin d’un costaud, ce qui était mon cas et surtout de quelqu’un de discret ce qui était aussi mon cas depuis mon arrivée ; il n’y a quasiment qu’à lui que je causais.
Le plan était simple, à 8h le lendemain je devais avaler un vomitif qu’il m’a donné, avec rien d’autre dans le bide qu’un erzatz de café et un quignon de pain, j’étais assuré d’aller à l’infirmerie. Lui aussi y serait pour son café habituel – un vrai pour le coup, le salaud. Un café qu’il prend avec le thermo. C’est le gars qui s’occupe de la pharmacie. Et la pharmacie était livrée ce matin-là à 9h par une camionnette qui serait notre billet de sortie. Le plan était simple et risqué mais la liberté n’a pas de prix, et j’me suis promis que j’me ferais pas rattraper cette fois… Tu parles !
J’ai passé une drôle de nuit je t’assure ! J’ai même hésité un bout avant de boire le vomitif : et si c’était une embrouille ? Mais bon, j’avais rien à perdre alors je me suis lancé. Je suis arrivé à l’infirmerie en me tordant de douleur, escorté par deux matons qui m’ont attaché à une civière et ils ont donné les clés à l’infirmier. Puis est entré mon pote Evrard ; il a feint la surprise en me voyant et a plaidé ma libération puisque je ne présentais pas de danger, « la preuve, c’est un vieux copain d’la Santé » qu’il a dit – mes aïeux quelle preuve ! L’autre a défait mes liens accordant un bénéfice sérieux à mes maux de ventre. Evrard l’a aussitôt estourbi et on a échangé nos places. Par commodité on lui a placé un bâillon dans la menteuse comme ça à son réveil il n’irait pas trop rouscailler. Mon nouvel acolyte m’a traîné à sa suite où j’ai découvert un gonze en blouse blanche avec une grosse tache rouge au niveau du cœur d’où sortait un poinçon… Le pire des bavards m’a glissé Evrard en passant devant le désormais ex-thermo. On a mis chacun une blouse et on est sorti de l’infirmerie en fermant derrière nous, on a traversé un couloir et atterri dans la pharmacie juste à temps pour accueillir un solide personnage qui est arrivé dans une estafette portant la Croix-Rouge. J’ai compris pourquoi ma corpulence intéressait tant même si je me sentais freluquet à côté du livreur de tisane. Evrard lui a proposé un coup de rouge, ce qui au vu de la couleur de son tarin devait être le breuvage usuel de ce personnage depuis l’aube jusqu’à l’aurore. Le pinard offert de bon cœur était tellement chargé en somnifères que le nez rouge est allé s’écraser au sol en moins de deux. On te l’a dépoilé et j’ai enfilé ses frusques avant de me maquiller un brin la bobine et de me rembourrer la veste pour lui ressembler au moins de loin. Là j’ai foncé ouvrir les portes arrière et Evrard lui s’est planqué derrière des caisses en bois. Comme il m’a fait un plan peu précis pour m’indiquer la sortie, je me suis un peu emmêlé les crayons et je me suis fait enguirlander ce qui nous a causé une belle frayeur à tous les deux mais bon, une fois dans la bonne direction et juste avant le moment critique où j’allais devoir rendre compte au préposé à la barrière mobile, celui-ci m’a fait signe de sortir en vitesse sans montrer patte blanche ! J’me suis pas fait répéter cet ordre-là deux fois et j’ai compris en tournant le long du mur d’enceinte qu’une nouvelle cargaison de criminels se pointaient dans un défilé de cars cellulaires. J’ai promis ce jour-là que si jamais j’en arrivais à croire en Dieu, je me mettrais à prier Sainte Rita. J’ai dû notre sortie rapide à ces nouveaux malheureux et la suite de notre plan au hasard du chronomètre. En effet, après avoir enclenché la troisième, la sirène s’est mise à brailler et les fourgons arrivant, toute sortie de la ‘tentiaire. Quelle veine on a eue !
***se mouche***
Après deux kilomètres à fond de caisse, à l’orée d’un petit bois, comme personne nous suivait de près, je me suis arrêté et Evrard est venu me rejoindre à l’avant avec la mine de quelqu’un d’extrêmement satisfait. Les condés seraient sur les dents et il avait déjà prévu notre destination : un petit garage à Bourg-la-Reine. L’estafette s’est vite retrouvée en pièces détachées tandis que nous on roulait, à la place du mort dans un corbillard direction Clamart où on a été logé pendant une semaine avant d’avoir de nouveaux papiers et un nouvel objectif. On pensait faire cause commune tous les deux mais c’était sans compter sur un coup de malchance. On passe pas entre les gouttes infiniment…
Après ces péripéties, on a décidé de partir à Lyon où j’avais des accointances : Paname c’était trop risqué et la France commençait à ressembler un peu trop à un champ de doryphores, on allait se rendre utile à la patrie. Avec notre balluchon on a traversé une bonne partie du pays sous la neige quand on est tombé sur une petite ferme du côté de Mâcon. On pensait passer la nuit dans l’étable et on attendait que le soleil se couche quand trois sales types sont venus faire des provisions pour le compte du tribut d’occupation, tu parles, y z’étaient là pour se remplir les pognes sur le dos des honnêtes gens. On rongeait notre frein quand on a entendu une fille crier au viol, pour Evrard c’était trop, il devait agir alors on est descendu de notre coin de forêt, on a pris chacun un outil et on s’est lancé sur les deux putrides qui mataient leur pote prendre de force son pied. A l’arrêt de leurs rires, le gougnafier s’est retourné et le coup de hache que je lui ai mis dans la caboche a stoppé définitivement ses velléités. C’est là que notre chance a cessé : une patrouille de Frisés a eu la même idée que les traîtres qu’on venait de liquider et on les a vu arriver un poil trop tard alors on a cherché à s’enfuir et on a partagé une rafale de sulfateuse. Lui il a avalé son certificat de baptême illico et moi, j’ai mangé dans le dargif assez de plomb pour m’arrêter net. Vu que mes papiers disaient que j’étais garçon de café et qu’il y en avait pas des masses dans le coin, j’ai été envoyé rendre visite à la Gestapo.
Ils ont pas attendu ma convalescence les vaches ! J’ai eu droit à des questions simples pour lesquelles je n’avais pas de réponse honnête à donner alors j’ai commencé à débiner un tas d’histoires qui me passaient par la tête. C’est ainsi que je me suis fait passer pour un gros bras de la Carlingue et qu’on avait pour ordre de trouver les mauvais payeurs et on suivait depuis peu, déguisé en résistants pour gagner la sympathie des populaces, les trois affreux qu’on a assaisonné dans la ferme. J’te dis pas le nombre d’âneries que je leur ai pondu ! J’ai essayé de me faire passer pour un des leurs et de transformer les trois bannis de la vie pour des criminels sans respect pour les bienfaits du Reich. Ça la fout mal de devenir collabo en moins de temps qu’il n’en faut à Pétain pour dire « heil » mais j’étais obligé. Malheureusement pour moi, mon histoire n’a pas pris et je me suis retrouvé avec mes deux balles dans 1’derche suspendu par les pinceaux au plaftard du sous-sol de la gendarmerie.
J’en menais pas large quand il y a eu une énorme explosion au-dessus de moi. Mon tortionnaire a laissé tomber sa chicotte et a sorti son P.38. J’allais recevoir une praline dans la poire pour m’empêcher définitivement de nuire aux intérêts nazis quand il s’est fait souffler par une deuxième déflagration : la porte de la cave a sauté me transformant en pinata géante. Je suis tombé – si on peut dire vu ma situation – dans les pommes et je me suis réveillé déguisé en Ramsès Il attaché à un lit en bois sis sous les combles d’une baraque quelque part dans une ville d’après mes conclusions auriculaires.
Après avoir fait le tour du périmètre avec les yeux sans rien distinguer d’autre qu’une charpente recouverte de tuiles, j’ai décidé de tourner la tête ce qui m’a fait voir un bout de table. À la quête d’une meilleure vision j’ai tourné le buste et j’ai gémi. Aucun doute : plusieurs de mes os étaient cassés et du côté des côtes c’était particulièrement vivace. En tout cas il n’y avait personne et le soleil était assez haut à en croire le rayon de lumière qui passait par une lucarne. J’me posais un tas de questions que tu peux t’imaginer et me défaire de mes liens était absurde tant ils étaient serrés et en plus c’était douloureux et j’aurais pas pu tenir debout par mes propres moyens de toutes les façons. Un peu soumis à la fatalité, j’ai pensé que le mieux serait de me retaper et la meilleure méthode connue à ce jour est encore de ronquer. J’ai fermé les vasistas et suis parti pour le pays des rêves comme un nourrisson.
À l’ouverture des stores j’ai entendu des voix qui venaient du côté de la table, du français, c’est toujours ça… Et une odeur de soupe m’a fait saliver, mon ventre a crié famine et je me suis vite retrouvé entouré de deux gars peu avenants et une petite mousmé souriante. Elle m’a donné à boire et on a tous posé toutes les questions du monde en même temps. Moi j’voulais savoir pourquoi j’étais attaché ? Qui étaient-ils ? Depuis quand j’étais là ? Eux : qui j’étais, ce que je fichais dans le coin, si c’était bien moi qui a fichu le bazar à la ferme des Dupré et si oui pourquoi… D’après le plus grand des deux moustachus j’aurais des réponses, de l’eau et de la soupe si je commençais à raconter ce qu’ils avaient envie d’entendre. Après mon récit en abrégé depuis notre évasion jusqu’à mon déguisement involontaire en jambon pas cru j’ai eu droit à un bol de soupe administré par Liliane. Puis j’ai dû m’étendre sur mon passé antérieur ce qui les a fait froncer du nez et j’ai fini par raconter notre évasion de Mayence avec Fredo ce qui leur a semblé plus honnête. Le binôme à béret a tenu un court conciliabule avant de revenir vers moi pour me promettre de revenir vite avec des informations quant à mon avenir proche. J’allais rester ficelé tant que certains détails ne seraient pas vérifiés. L’attente n’a pas été longue – heureusement, j’avais comme qui dirait des besoins urgents. Cela dit je me sentais en sécurité malgré mon immobilité forcée.
À leur retour, Yves et Clément se sont présentés : ils étaient FTP de la première heure. Ils ont été assez francs en me disant que mon passé avait bien failli jouer contre moi au vu des agissements de certains truand mais que les miens parlaient pour moi. Aussi, ils ont pu confirmer mon récit avec Fredo ce qui a fini de me sauver la mise. Est alors arrivé un médecin un peu revêche. Sous bonne garde, il m’a débandé les membres et m’a palpé, reniflé ; il a grogné et hoché la tête. A la fin de quoi il a annoncé deux fractures à la jambe droite, une au bras du même côté et des côtelettes en miettes. A part des bandages il n’avait rien pour me plâtrer l’aile et la cuisse j’ai donc eu droit à des atèles de fortune et un corset au thorax. Il m’a retiré le plomb du cul et a pratiqué quelques points de suture là et à l’arrière du crânium. J’étais bien marri déjà comme ça mais pour plus de sécurité, on allait quand même me maintenir en régime sous camisole.
Elle a duré une semaine cette condition de rôti en semi-liberté. Un beau soir à l’heure de vérifier l’avancée de ma guérison c’est un peu plus de monde que d’habitude qu’est arrivé par l’escadrin et là j’vois apparaître la tronche de ce vieux Fredo ! Ah mes aïeux, comme je me suis senti pousser des ailes ! J’allais enfin pouvoir me mouvoir un brin et surtout filer d’ici. C’est par souci de sécurité qu’on m’avait tenu au secret, tout le monde était désolé et bien entendu je comprenais leur situation et leurs craintes. J’ai enfin appris comment je me suis retrouvé là ! Ils étaient venus pour deux autres de leurs camarades, ils pensaient que j’étais l’un d’eux qui se faisait interroger et ils sont repartis avec trois colis au lieu de deux. Tout est bien qui finit bien puisque le soir même, après avoir procédé à l’inventaire de mes maux, le toubib m’a déclaré apte au voyage et on est parti pour Lyon en catimini. Malgré les rafles et les fusillés, je m’en suis sorti.
À la Croix-Rousse je me suis refait une santé chez un tisserand et à nouveau je me suis retrouvé avec une fausse identité. J’étais devenu André Boidar négociant en tissu vivant place d’Italie à Paris et démobilisé depuis peu. On me renvoyait chez moi avec de la matière première pour la manufacture des Gobelins et quelques correspondances amicales. J’allais comme ça faire des allers-retours pendant quelques mois. J’en ai profité pour faire d’heureuses rencontres et pour graisser quelques paluches de mille-pattes sur la route histoire d’avoir des infos supplémentaires sur les mouvements ennemis. Tout devenait plus difficile, les SS étaient sur les dents et la voracité allemande sans égale. De mon côté, faire le préposé aux postes – faux marchand de tissu me devenait plus difficile à assumer. Je rongeais mon frein planqué que j’étais tandis que les amis se faisaient découper ou s’amusaient à faire sauter des ponts. Et enfin mon tour d’aider est arrivé.
On allait se faire un convoi de ravitaillement dans le Puy-de-Dôme. Au retour de Paris, j’ai rejoint un commando et on est parti une nuit jusqu’à une ferme où on a été mis au parfum de la nature de la mission et du rôle de chacun. Sur place les préparatifs avaient été faits et on y trouverait le nécessaire d’embuscade. On n’avait plus que quelques heures pour se reposer avant de s’harnacher et de partir le lendemain soir. Nos chances de réussite ont été largement surévaluées.
Entre chien et loup par groupes de deux on a quitté la ferme et on a suivi notre boussole pendant une partie de la nuit sans encombre. Ah, j’ai oublié de te dire, j’étais avec Clément, le moustachu de Mâcon ; Yves était resté dans le Rhône. Une équipe devait faire tomber des arbres devant le convoi, à nous d’arroser l’escorte à la mitrailleuse. Pendant ce temps les autres prendraient d’assaut les véhicules importants et les feraient péter en un joyeux feu d’artifice. Enfin, c’était l’idée avant qu’on comprenne que l’escorte était bien plus costaude qu’on ne l’avait prévu.
Le char de tête n’en a eu que faire des arbres tombés en travers du chemin, ils les ont aplatis avant de nous canarder avec la leur de mitrailleuse. Pour éviter de se faire trouer la peau on a dû décrocher.
Comme tous les autres. Nos ordres étaient de se carapater à Tulle quelle que soit l’issue alors on a mis les adjas dans cette direction. A quelques kilomètres de notre destination, on a voulu faire trop vite et on est tombé nez à nez avec une patrouille. À douze contre deux, on était marron. « Mains en l’air » tu comprends dans toutes les langues ; et schnell on avait fini par appendre… Une fois de plus, j’étais du mauvais côté du fusil.
Sans trop avoir été interrogé, on a été envoyé à Eysses. C’est là-bas qu’on nous poserait des questions. Et c’est assis sur la banquette en bois d’un camion qu’on a fait le voyage avec un sac sur la tête, les mains attachées dans le dos et des coups de crosse si on mouftait. Avec les cahots de la route on a joué aux maracas assez longtemps pour plus savoir où qu’il était le nord. Sur place c’était pas gai et je te passe les détails mais en quelques minutes on avait compris que nos chances de survie étaient étroitement liées à notre capacité à s’en aller rapidement. Certains vivants auraient mieux fait d’être morts. Enfin, il paraît qu’ils ont fait pire en Pologne. On a été séparés et je me suis retrouvé dans un cachot à poil, à genoux sur une règle en bois, les mains sur la tête et un gros Boche qui me chanstiquait des coups de goumi dans le dos.
J’ai dû m’évanouir parce qu’une bassine de flotte m’a réveillé et une voix m’a annoncé que je venais de vivre un amuse-bouche gratuit. L’objectif de la gratuité de la séance était de me persuader que le silence ne ferait qu’aggraver mon cas. Cependant, aucune question ne m’a été posée et c’est sur cette réflexion que je me faisais que j’ai été jeté manu militari à la porte. Ce qui restait de mes fringues a atterri dans la boue à côté de moi.
Un brave gars m’a apporté à boire et m’a annoncé que j’avais à peine quelques jours pour me décider : soit je me mettais à table, soit je me taisais et on ne me laisserait plus sortir vivant du cachot la prochaine fois que j’y serai invité. Ma décision était prise, j’allais me tailler d’là avant que les gros durs fassent des dégâts sur moi. Les enfoirés devaient payer pour ce qu’ils m’avaient fait et pour ce qu’ils faisaient aux pauvres hères qui étaient là. En constatant combien les gars crevaient de tout : de faim, de maladie, des blessures occasionnées, j’ai pris peur. Quoi qu’il arrive, le soir même j’étais parti. C’est là que Clément a été balancé depuis le seuil du cachot dans le plus simple appareil, mais en plus mauvais état que moi. Ils l’avaient pas loupé mais je devais le remettre d’aplomb : hors de question de le laisser laguche.
Je nous ai trouvé un coin pour se reposer et bien réfléchir à l’action à mener. Clément est sorti du sirop et quand je l’ai briefé sur la situasse il était partant pour une corrida nocturne. J’ai repéré un kapo qui avait une petite équipe qui ne demandait qu’à sortir mais qui n’osait pas… Il leur fallait quelqu’un pour leur ouvrir la porte visiblement. Deux autres résistants se sont joints à la discussion. C’est eux qui nous ont refilé les meilleurs tuyaux quant aux us et coutumes dans ce cloaque. Et les ricains étaient chauds mais ils avaient déjà bien trop de blessés qu’ils pouvaient pas laisser derrière eux. Les plus castagneurs ont rejoint notre petite entreprise.
Une bagarre s’est déclenchée à l’heure de la gamelle et dès qu’ils ont ouvert les portes pour procéder aux représailles, les Fritz se sont fait cueillir par tous les valides. Tu aurais vu leur tête aux enfoirés, ils croyaient tout ce petit monde trop abattu pour ruer dans les brancards, surtout à l’heure de la jaffe alors qu’ils crevaient le ventre vide. Y’en a bien eu pour mettre plus de quignons dans leurs fouilles que de pains dans la poire aux gardiens mais comment leur en vouloir alors que moi j’avais bien vécu en bourgeois pendant ces derniers mois ? C’était mon destin, je devais sauver ces mectons ; plus ça va, plus j’me dis que les hasards ça n’existe pas. Bref, J’en ai aligné un avec un ramponneau de première et j’ai sauté en hurlant sur son pote qui était empêtré dans la lanière de son arme : crochet du gauche – uppercut du droit en plein dans le menton et il est tombé. J’ai choppé son fusil, fait monter une balle dans la culasse et crac ! J’ai perforé la gorge du lieutenant salopard qui hurlait ses ordres pour la dernière fois. Coup de pied dans le menton de mon fournisseur en artillerie et c’est en rechargeant que j’ai réalisé que les Frisés étaient débordés et avaient à peine eu le temps de tirer quelques cartouches. La chute de leur chef a fait s’effondrer le moral des derniers vaillants qui se sont dispersés dans les bois alentour. Quel pied de les descendre comme des lapins ces enfoirés, ils iraient plus vite que prévu en enfer. D’autres ont passé un sale quart d’heure entre les mains de quelques-uns des nôtres qui avaient un peu perdu la raison. Mais l’alarme a été donnée et si on tenait à nos os fallait se magner. Avec Clément qui m’avait pas lâché d’une semelle, on a pris un side-car avec mitrailleuse embarquée. J’ai pris les manettes de la meule ; lui celles de la machine infernale et on a décollé en vitesse. Un peu plus loin, il a canardé des doryphores qui s’étaient enfuis : ils faisaient de grands signes croyant qu’on était des collègues. Mal leur en a pris. C’est par les petits chemins qu’on a échappé aux radars. Et ce n’est qu’au petit matin en arrivant dans les Cévennes qu’on a arrêté de voyager aux frais du Reich. On a planqué le tricycle dans un chemin forestier et on a investi un petit abri de berger pour passer la journée à l’ombre des regards indiscrets.
La nuit venue on s’est mis en route jusqu’à un petit village endormi. En contournant les bâtisses on a repéré un curieux ménage : un officier de la Wehrmacht sortait de chez une donzelle roucoulante. Il ne nous a pas fallu longtemps pour réaliser que d’une on était assez proches pour les surprendre et de deux : son chauffeur semblait aux abonnés absents. Un, deux et trois on était sur eux. Tout le monde est entré dans la casbah et on a mis les amoureux hors d’état de nuire. La miss était terrifiée et le gonze faisait preuve de bien trop de calme pour qu’il soit justifié. J’en ai conclu qu’il était bel et bien seulâbre. On aurait besoin d’un autre uniforme si on voulait utiliser celui de l’ëber-truc-fureur Clément ferait un très bel officier allemand s’il se rasait la moustache et ils étaient plus du même gabarit que moi. Pour ma part, chauffeur du bolide qui était devant le trottoir semblait parfaitement dans mes cordes.
Je trouvais que l’occasion était trop belle et la situasse trop idiote alors j’ai attrapé la souris par un brandillon et lui ai expliqué qu’on leur voulait pas d’ennuis mais qu’elle allait en avoir vu qu’elle écartait les guibolles pour encourager l’effort de guerre allemand et que rien que ça à titre très personnel c’était assez pour l’envoyer ad pâtres selon mon baromètre de l’acceptable. J’ai été assez persuasif puisqu’elle m’a donné l’adresse d’un notable susceptible de nous aider. Quand je l’ai lâchée elle s’est écroulée en pleurant et en jurant qu’on ne l’y reprendrait plus, qu’elle était une victime et qu’elle regrettait… J’y suis allé peut-être un peu fort. On l’a attachée ; elle allait pouvoir s’en sortir toute seule enfin… a priori… en tout cas elle n’allait pas aller hurler sur les toits son passé récent. Son amant, on l’a traité un peu différemment : dévêtu, bâillonné et saucissonné il a pris un coup de crosse format maousse sur le caberlot qui l’a mis KO le temps de l’envoyer au tapis à l’arrière de sa Panhard et de sortir des environs. Moi j’me suis allongé sur la banquette arrière muni de son feu pour le tenir en respect et Clément s’est distingué en amant boche sur le retour d’une galanterie – sans son chauffeur le vilain. Laisser sa moustache dans l’évier de la dame a été un crève-cœur, mais à la guerre comme à la guerre· comme on dit ! Pimpant, il a orienté la tire vers le bled d’à côté qui était aussi désert que le Sahara.
C’est la plaque du notaire qui a dénoncé sa demeure. On a continué à rouler une cinquantaine de mètres et je suis descendu à pied infiltrer la propriété. Discrètement j’ai toqué aux fenêtres de derrière jusqu’à ce qu’il y en a une qui s’ouvre enfin sur un vieil édenté qui m’a annoncé que c’était pas une heure pour réveiller les honnêtes gens et que le médecin c’était en face et quelle idée de passer par derrière avant de réaliser que la situation demandait un traitement différent en voyant mon nouveau Lüger sortir de mon pantalon. J’ai enfin pu en placer une et il a compris la situation. Il a ouvert la porte de la cave et on y a descendu notre paquet avant d’aller fourrer la bagnole sous un tas de foin à quelques kilomètres de là. On allait devoir serrer des miches une journée assis sur un tas de charbon pendant que la moitié du pays serait sans doute à la recherche de Karl. Car tel était son nom.
Le vieux avait un petit réseau efficace puisque dès l’aube ils avaient embarqué la caisse à bord d’un chargement de foin vers d’autres cieux. C’était une prise à la fois belle et dangereuse : reconnaissable d’entre mille et elle allait être recherchée. De notre côté on est redevenu humains dans des habits propres et on s’est mis à table. Par là j’veux dire qu’on a mangé un ragoût des familles j’te dis pas comment ça remplume que de mastiquer un bon bout de viande en sauce avec des champignons, un pain tout ce qu’il y avait de familial et un ptit Juliénas de derrière les fagots. L’Abbé qu’il s’appelait notre hôte, avait le bigophone et il s’en est servi pour apprendre à son interlocuteur gône qu’il avait bien réceptionné des deux toises de toile. À Lyon cette info a fait écho et à la fin de notre banquet, c’est Yves qui appelait pour connaître l’avis de son client sur la qualité de son produit. Clément, néo-chef d’atelier lui a chanté des louanges sur l’état de la marchandise et a proposé trois jours pour livrer des échantillons. Affaire conclue. Et une équipé était déjà sur la route pour s’occuper de la demoiselle aux mœurs étrangères.
Il a fallu le reste de la journée pour trouver quoi faire de Karl. Ses papiers et uniforme pouvaient servir à la Résistance ; le reste du bonhomme était un fardeau terrible. Le tuer était aussi dangereux pour la population locale. Il devait faire comme sa tire : disparaître de la circulation. En attendant de décider de son sort, on a déguisé son long corps en tapis roulé puis fourré dans une cavité cachée sous le charbon. Nous deux on est partis aux champs avec les papiers des fistons d’un paysan du coin qu’étaient au maquis et on a rentré du foin. Planqués à la vue de tous et malgré la circulation des Frisous, on a passé une journée paisible sans qu’on nous cherche des poux dans la tête. La maison du vieux a bien été perquisitionnée sans résultat tout comme le reste du patelin.
On a appris le soir venu que la piaule de notre petite Bochesse avait fait l’objet d’une invasion dans la journée. Un témoin de notre bord l’a vue partir avec sa valise dans une grosse voiture de couleur claire.
En réalité on l’a fortement motivée à de se tailler fissa chez sa tante à Tours et on l’a fait monter avec sa valoche dans la deuch d’un ami quelques heures avant. Puis elle a été forcée de faire le grand saut dans un aven le cou cassé par avance. Avec tous les bons de ravitaillement qu’on a retrouvé chez elle, elle a perdu son statut de grande victime – même pour du lait la garce elle en avait ! On a pu renflouer bien des ventres vides et des joues creuses. Et cela a scellé l’avenir de notre saucissonné.
Étant obligée de partir avec une valise « chez sa tante » la gerce avait pris son nécessaire vital. En quittant un soir son QG sans son chauffeur, le Colonel en notre possession a agi secrètement et donc de façon intrigante. L’enquête sera rapide. Deux amoureux disparus avec une belle voiture… À quelques heures de la frontière espagnole… Voilà comment on a réfléchi pour décider de la mort de notre officier galant. La nuit venue deux costauds sont venus prendre possession d’une tapisserie orientale et il a définitivement disparu. Notre plan a marché puisqu’il n’y a pas eu d’exécution en représailles. Et pour cause, ils ne pouvaient décemment pas s’énerver publiquement parce que l’un des leurs a filé à l’anglaise en charmante compagnie !
*** rires et toux ***
Ainsi après une nouvelle journée comme manœuvre agricole, on s’est préparé à retourner à la ville. La voie était libre et on a pu reprendre nos activités respectives. Mais cette fois c’est à Pantruche que j’allais faire des bricoles. Une fois ma nouvelle cargaison livrée, j’ai organisé la liquidation de la société, enfin… On a organisé pour moi les formalités d’usage et j’ai quitté le monde des actifs. J’avais toujours un logement rue des Martyrs et la gardienne était toujours en place. J’ai toujours été généreux avec elle et l’arrivée spontanée dans son foyer d’une caisse de produits frais de la ferme et de deux bouteilles de porto a persuadé la bonne âme à s’occuper de faire régulièrement les poussières dans la piaule. Enfin jusqu’à ce que je rencontre Germaine. Ahh, ma douce Germaine et mon brave petit. C’est déjà un costaud à la naissance mon ptit gars. Noé Petit fils de Jean Petit. Presque un anagramme de Pétition t’as vu ? J’en saurai jamais rien de c’qu’il deviendra le ptio.
Sa mère je l’ai rencontrée pour la première fois fin août 1941, il faisait chaud et je faisais mes petites bricoles avec son frangin Christophe. Elle nous avait ravitaillé en rillettes et on a eu comme un coup de foudre tous les deux. Moi, les gonzesses, ça a toujours été de l’utile associé à l’agréable quand il le fallait. Mais elle… ses grands yeux de biche ont joué à ti-ti-ta-ta-ti en réponse à mes bredouillages très honorés occasionnés par mon cœur en plein carambolage amoureux. Sa petite main dans la mienne a dû être secourue par son frelu tellement on a fusionné au premier contact. Pendant deux mois, on a pas pu se revoir mais d’après le Tophe on était aussi fatigant l’un que l’autre et qu’on devrait attendre la fin d’une opération dont on n’était qu’un petit rouage. Un beau jour, on a enfin eu le feu vert. C’était du côté de la Butte Montmartre, je me souviens qu’il faisait froid et qu’il avait neigé, ce froid nous a rapidement rapprochés et après une longue marche, je l’ai emmenée dans un petit restaurant. Je l’ai raccompagnée chez elle comme un gentleman. Puis le lendemain, elle atterrissait rue des Martyrs, le mois suivant on était marida et neuf mois après, en juillet 1942 est apparu mon bon gros poussin, la veille de la Fête Nationale ! Comme on avait prévu de repeupler la planète, on a choisi de l’appeler Noé. Après quelques mois de papa poule clandestin, j’ai dû mettre les voiles avant de me faire démasquer : les Frisés faisaient du zèle. Je suis allé rejoindre un petit lot de résistants du cru.
On a investi une petite maison à Issy-les-Moules. En habitués de longs séjours à rien faire on limitait nos déplacements au possible. On nous ravitaillait en et le poste à galène nous tenait informés des événements. Un facteur nous livrait de temps à autres des nouvelles de la famille ainsi que de nouveaux objectifs : autant de cibles à cambrioler, canarder ou assortir par magie d’une danseuse à oreilles. Autant de coups en douce donnés à la collaboration. Et c’est justement en allant chercher une greluche qu’on s’est fait retapisser par un vieux poulet rance. Il nous a eu à la sortie du rad. C’est les potes de la police spéciale qui ont fait tout l’travail dangereux et ce vieux schnock a pointé son museau en vainqueur. Ils nous ont bien eus les vaches. Martin est sorti faire le pet une minute avant de me faire signe que tout roulait. Quand j’ai pointé mon museau en effet tout était calme : un couple s’éloignait et les oiseaux se chamaillaient. On s’est mis sur le chemin du retour quand est arrivée une deux chevaux de laquelle sont sortis quatre loustics qui nous ont aussitôt pointé le silence de deux pétoires à camembert sur la bidoche et criaient en bon français Hande hach ! Ceux-là, fallait pas les chatouiller sinon ils envoyaient les valdas en un claquement de doigts et ils en avaient l’habitude crois-moi. C’est pour cela qu’on a attrapé au mieux les nuages et tourné le nez vers le mur sur l’injonction d’un vilain pas beau jusqu’à l’arrivée du gallinacé qu’était une vieille connaissance de Martin dit Tintamarre de la Muette. Et moi je suis redevenu Ptit Jean de Pigalle… Papiers perdus mes aïeux… On verra ça à la maison, rue Lauriston fiston…
La fille savait rien sur le client à qui on la destinait, elle pensait que c’était un homme riche et c’est tout ce qu’il importait. Elle a fait son tour à la Roquette et maintenant ? Le plus important c’est que ni moi ni Martin devait ouvrir la voie à une autre histoire que celle qu’on avait prévue en cas de pépin : on a bourlingué depuis le début de cette guerre pour lui et depuis mon évasion première du nom pour moi et à la faveur d’une rencontre on s’est associé seulement tous les deux dans le placement de juments.
On s’est fait caresser les côtes et la plante des pieds pendant un temps incertain. Une semaine peut-être à passer d’un atelier à l’autre ; le chevalet puis la balançoire ou encore des chocs électriques à la chitane. Il m’a semblé que leurs principaux griefs concernaient notre volonté d’indépendance alors qu’eux ils proposaient du confort et de la stabilité. C’était confus et j’ai été un peu trop malmené pour faire carburer mes petites cellules grises. Après une séance chez le chiropracteur, j’ai réussi à rester lucide et j’ai parlé de mon impression avec Martin- qui sortait des vapes. C’est lui qui a eu l’idée de faire un plus un dans sa tête malgré les bosses. Il a conclu qu’on pouvait balancer le vieux de Clamart qu’on avait cambriolé deux semaines avant en disant que c’était lui qui nous avait contacté pour une belle escroquerie. Une fausse dénonciation pour un vrai salaud. On en avait classe de se faire chatouiller les nerfs alors qu’on était que deux pauvres lascars qui s’occupaient que de s’en sortir comme ils pouvaient… Il semble que notre mayonnaise a pris puisqu’ils ont arrêté de nous titiller les zones sensibles. Et même si on a pas pu prendre une douche, on a pu avaler une purée d’orge et une vieille pomme. Après quelques heures on nous informait qu’on allait être envoyé Fresnes pour bien réfléchir à notre situation et à nos intérêts. Le retour dans ces murs ne m’enchantait pas des masses. Le Tintamarre non plus l’était pas aux anges, il a connu l’endroit en 34 pour ses débuts en vol à l’étalage. Encore une fois, j’allais tout faire pour me trisser en vitesse et mon aminche était sur la même longueur d’onde.
J’étais donc revenu à mon point de départ après près de deux ans. Avec un peu de bol, les populations auraient tourné. Quand je suis arrivé j’avais le faciès mangé par la barbe ce qui me changeait la physionomie. Et j’étais assez sûr de ne pas avoir trop montré ma trogne la fois d’avant alors j’ai entretenu mon nouvel air de loup de mer et repris l’attitude discrète qui m’a évité la célébrité jusque-là.
C’est encore un hiver rude qui nous attendait au tournant de cette fin 42. Les premières semaines étaient chaotiques puisqu’on nous envoyait se faire interroger tous les trois jours Avenue Foch ou bien Rue des Saussaies. A force de pratiquer les mêmes lieux mal famés de la capitale, on s’est reconnu entre camarades de combat et collègues de travail. Certains n’étaient pas vaillants et c’était duraille de causer la mâchoire pétée ou la tête empaquetée dans de la toile de jute mais on a réussi à mettre en place un petit réseau.
Sans réel jugement j’ai pris comme Martin six mois fermes pour notre affaire de poules non déclarées et j’ai gagné en prime la certitude de me retrouver juste après dans un train pour des travaux pas franchement volontaires dans un camp de travail quelque part loin de la maison pour mes activités de roi de l’évasion.
Pour fêter la nouvelle année 43, à Fresnes Village, j’ai été muté au premier étage et j’ai enfin pu recevoir un colis de ma blonde épouse qui m’annonçait les progrès formidables que faisait notre progéniture. En changeant le linge on échangeait des lettres cousues dans les revers des habits les plus sales. On recevait en douce dans les colis aussi des mines pour écrire et des feuilles à rouler ; des aiguilles et du fil ; des biftons et du tabac … Manger et fumer quelque chose de sérieux en ayant le début de quelques outils pour prendre la tangente, rien de tel pour donner du baume au cœur.
J’ai rencontré quelques bons gars parmi lesquels Bill, un officier des Intelligent Service ; la brochette
Vidal – Terrier – Galibier qui fricotait avec Jean Moulin et deux jeunes paysans : Laurent et Guillaume.
Bill avait un réseau pour des godasses John Lobb – attention ! Elles avaient le talon creux, cousu main, qualité angliche : de la belle ouvrage j’te dis-moi. J’ai appris à mes camarades d’enfermement mes astuces pour vivre un peu mieux. Déclouer les fenêtres est devenu un sport très prisé pour qu’on puisse causer entre nous le soir venu. On avait une belle quantité d’informations par nos amis de la Résistance et avec nos expériences passées mises en commun, on a fini par accepter l’idée que partir d’ici était désormais compliqué sans une attaque massive de l’extérieur. Les rumeurs tournaient et nous menaient vers des convois de wagons de transport de marchandises. Les camarades cheminots nous ont trouvé des points faibles dans leur matériel. Notre salut viendrait pendant un trajet.
À force de venir et de parlementer, Germaine a pu enfin m’apporter le petit Petit ! Quelle joie j’ai eu de l’avoir dans les pinces ! Si petit et déjà un sacré lascar qui gigotait conformément à ceux de son âge. Quinze minutes au parlu avaient réussi à ma transformer en guimauve. Ce quart d’heure m’a regonflé à bloc et m’a probablement sauvé la couenne puisque dans sa couche il avait planqué une lame d’acier trempé le coquin.
Un panier de petits pains farcis pour les gardiens plus tard, j’étais de retour en cellule avec les miens, farcis à la littérature et diverses petites marchandises, et coincée contre mon ventre la lame. J’ai ouvert ma petite planque pendant que Jean-Louis surveillait les environs, après un rapide inventaire, j’ai fait un paquetage de départ express assorti de ma nouvelle possession et je me suis farci les fouilles de marchandises. Avec l’aide de Jacques qu’était devenu interprète et kalfactor – c’est lui qui donne la gamelle avec son chariot qui fait un boucan de tous les diables, et je me suis mis à échanger le plus gros de mon stock contre des pipes et des timbres. Bien m’en a pris, c’était mon premier et dernier parloir.
Contre toute attente, un matin de mars, avec quelques autres on a été sommés de faire notre paquetage de départ : on avait un train à prendre. Il a fallu du charivari pour que je puisse prendre mon paquet de survie qu’était sous le parquet mais je m’en suis sorti. Arrivé au rez-de-chaussée le sous mac’ nous informait qu’il nous remettait à l’hospitalité allemande et qu’on allait faire un voyage aux frais de la princesse à partir de tout de suite. On a pas eu le temps de rouscailler qu’on nous a forcé la main pour monter à bord de transports en commun vers la misère. On a rejoint une cohorte de NN, les Nuit et Brouillard en boche. Eux, leur avenir s’écrivait au passé : destination la mort sans alternative. Des juifs et des cocos pour la plupart, mais des résistants aussi et d’autres pas gâtés par la grande loterie des jours sombres qu’on vit, enfin, qu’on vivait alors. Il en faut peu pour déplaire aux standards aryens…
Un convoi chargé de bestiaux humains quittait la gare de Compiègne où nous on arrivait pour une distribution selon la coutume en vigueur. Le criard de service nous annonce que le tas de charogne ci-présent était le résultat de la stupidité de nos prédécesseurs en possession d’une arme et si on tenait à notre peau qu’on avait intérêt à remettre illico tout objet entrant dans cette catégorie faute de quoi nous serions fusillés et que notre dépouille irait rejoindre celle de ces autres idiots-là. Un frémissement et les premiers froussards ont tendu leurs pics, poinçons, lames et autres. Ils se sont quand même faits fouiller. Un malin a essayé de masquer une scie dans sa botte et a hérité d’une bastos dans le poitrail. La quête allemande a eu un nouveau succès mais moi, j’avais gardé ma lame le long de l’aine. C’était risqué mais j’ai choisi de tenter le tout pour le tout. J’estimais mes chances d’évasion d’un train de marchandises plus grandes que celles depuis un vilain camp spécial de haute sécurité. En plus on entendait des histoires atroces sur certains camps. J’ai passé la fouille en serrant un peu des miches. Surtout je suis resté détendu parce que je peux te garantir que j’étais prêt à aller au grabuge fut-il définitif.
Tu vois, j’arborais un air résigné et craintif pour ne pas éveiller de soupçon et j’ai gémi quand mon palpeur m’a pris mes cibiches. « Verbëten ! » Alors j’ai tendu d’office les trois suédoises qu’il me restait dans la poche. Et le tout a pris le chemin de sa poche à lui ce qui m’a ouvert la voie à une place de première dans un wagon déjà bien bondé. Sans qu’on serait quand le chargement sera complet, j’ai retrouvé quelques copains et les leurs, on a organisé notre quartier. Les wagons étaient tous pareil selon moi, mais le petit Cyril connaissait son affaire et il a pointé les deux planches qui devaient assurer notre escapade. On a tenu notre place jusqu’à ce que le dernier monte. L’officier en charge de hurler nous a rappelé combien il serait sage de laisser toute arme à quai faute de quoi on aurait du souci à se faire pour nos entrailles. Dernier rappel vain, il a sauté de là et la porte a coulissé dans son grand fracas. Si l’enfer en a une, sa porte doit faire le même bruit.
Il a fallu un paquet d’heures avant que le train ne s’ébranle pour d’autres cieux. Dans l’obscurité la plus totale, on a entamé notre œuvre de bûcheron silencieux. Malgré tout, certains ont eu trop peur des représailles et deux étrangers ont eu envie de nous dénoncer. Ils n’ont pas écouté l’avis de leur entourage immédiat alors j’ai dû me faufiler jusqu’à eux. Après avoir ouvert la première brèche dans la cloison du wagon, ma lame a ouvert la jugulaire de l’un et a fait trois trous dans le cœur de l’autre des bavards. Pendant que des gars envoyaient les cadavres au fond, moi j’ai retrouvé mes camarades ouvriers en démolition. Figure-toi qu’on était que trois à avoir passé de l’acier, les deux autres avaient des lames de scie. Remarque, l’en fallait pas plus. En deux heures on a réussi à scier deux planches. On les a rentrées et le vent nous a hurlé toute sa liberté. La vitesse semblait raisonnable et c’est notre
Chef-parachutiste, un anglais du nom de Tim qui a organisé l’évacuation des nôtres. Comme il avait une bonne idée de la topographie des lieux et qu’on avait déjà anticipé la chose en cabane notre plan s’est déroulé assez bien.
Tim a estimé qu’on avait dépassé Noyon ce qui était une bonne chose. Les premiers de la liste à se barrer se sont présentés et ils ont sauté dans un virage à gauche. C’était plus risqué mais ils avaient des impératifs disons urgents. Comme une lettre à la poste. Puis on a attendu la prochaine traversée forestière pour se faire la malle. J’ai fait partie du deuxième contingent de paras du rail à s’éparpiller sur un bon kilomètre. Tim devait continuer à larguer entre les gares les volontaires à une escapade nocturne jusqu’à La Fère puis ça serait son tour. Pour tout te dire, je n’ai jamais su ce qu’il lui est arrivé mais on lui doit tous une fière chandelle.
*** silence et se redresse ***
Chacun de nous a joué son va-tout et le temps de voir les feux arrière du dur s’éloigner je me suis mis en route. J’avais qu’une seule adresse en tête qui pourrait m’être utile de ce côté de la planète et c’était à Folembray sur la route Coucy-le-Château-Auffrique. J’te dis pas le nom ! Alors j’ai traversé les rails puis un canal et j’ai joué à cache-cache avec les étoiles une bonne partie de la nuit. Rentrer dans le village c’était pas gagné d’avance, notre virée imprévue a mis la Wehrmacht en ébullition et des Doryphores sur toutes les routes. J’ai attendu qu’ils fouillent une étable pour aller y reposer ma carcasse. Je m’demande combien de fois j’ai pu dormir dans un vrai lit ces dernières années…
À Folembray j’ai été planqué par une petite vieille, Mamzelle Janine. Elle m’a logé sous les toits jusqu’au jour où j’ai enfin pu récupérer des papiers qui me permettraient de retourner à Paname rejoindre ma blonde et mon costaud. Il y a eu un peu de passage chez Janine mais personne n’embête trop une femme de cette trempe. J’ai croisé trois aviateurs égarés et trois autres résistants. C’est eux qui nous ont un peu informé de ce qui c’était passé. Tout se passait bien, une trentaine de gars ont réussi à fiche le camp mais à après La Fère, le train a commencé à prendre de la vitesse et surtout Tim avait fini sa part du turbin et a pris son envol comme prévu. Là, certains ont paniqué, ont voulu tous sauter en même temps, causant pagaille et cris, une sentinelle a fini par découvrir le pot-aux-roses à l’approche de Laon. La chasse aux lapins a duré et il était dangereux de pointer son museau dans le coin pendant un temps. Alors je me suis claquemuré en silence.
J’en ai profité pour bien étudier la situation, pour rejoindre Germaine qui devait être surveillée comme le lait sur le feu. Les choses allaient être compliquées mais j’avais confiance en moi et le ragoût de Janine était une merveille de produit dopant. Et quand je suis parti, j’étais pas trop inquiet du fait de ma grande expérience en vagabond de l’ombre.
J’ai enfilé une tenue de feu son mari et j’ai filé une nuit par les chemins de traverse et j’ai fini par retrouver la porte de Clignancourt et ma ville chérie après plusieurs étapes plus ou moins longues. Ya pas à dire, Paname ça a une odeur bien à elle. Quand j’y arrive à chaque fois, j’ai les narines qui frétillent. Cette petite odeur de fioul, d’huile, de charbon et de suie, reconnaissable entre mille. Enfin, j’ai retrouvé mes trottoirs et j’ai usé de mille astuces pour arriver dans ma piaule sans réveiller quiconque. Retrouver ma Germaine au lit avec le chtiot m’a donné l’impression de vivre un rêve. Les deux amours de ma vie étaient là sereins, endormis tous les deux. J’ai réveillé ma douce en lui soufflant dans l’oreille. Sa joie était totale et j’ai dû la calmer d’une galoche comak. Les retrouvailles furent chaleureusement partagées et c’est sans avoir réveillé mon morpion que j’ai sombré dans un sommeil de plomb.
L’odeur du lard à la poêle m’a réveillé, le petit Noé se léchait les babines et riait assis à la petite table, les fesses de sa mère ondulaient au rythme d’une chanson qu’elle fredonnait, c’était beau. J’étais mort et au Paradis ? De l’amour, de l’eau fraîche qu’avais-je besoin de plus finalement ?
C’était sans compter sur mon insatiable besoin de bouger, de faire quelque chose : j’avais pas le droit de rester là à rien faire, heureux, pendant que ça bardait dehors ! Alors je me suis mis à la disposition, encore une fois, de la Résistance et j’ai recommencé mes petites combines occultes. Quelle époque, je vivais un peu à droite et à gauche, parfois je faisais le monte-en-l’air rejoindre ma petite famille le temps d’une nuit de douceur. J’ai bien fait d’ailleurs de fiche le camp de la maison puisque les képis sont venus plusieurs fois vérifier si j’étais pas de retour. Pendant pas loin d’un an j’ai bourlingué en faisant gaffe à tout mais t’as beau prendre toutes les précautions que tu veux, y aura toujours un moment où tu te fais avoir par le hasard. Soit il t’ouvre la porte chance, soit il te la ferme au nez. Et moi, elle m’a claqué au nez dans le métro alors que je venais de scraffer un beau salaud. Le hasard néfaste qui m’a empêché de zigouiller en rond c’est d’avoir aidé une petite mémé qui avait du mal à descendre les escaliers. Quelle folie, je viens de liquider un vilain zigoto et j’en profite pour faire ma BA de la journée. Mais je me ficherais des coups de pied au cul ! Elle a mis trois piges à descendre la volée de marches la mémé et j’ai loupé ma rame. Dans la suivante, la Gestapo faisait son boulot routinier de fourre merde et malgré mes faux-vrais papiers, rien ne justifiait le port d’un calibre qui sentait encore la poudre. C’est comme ça, vraiment bêtement, que je me suis fait arrêter cette fois. Direction la sortie puis La Santé pour déterminer le vrai du faux de mes dires et documents.
Dans le fourgon il y avait un grand mec blond attaché à une chaîne par les mains assis sur un côté. J’ai pris place en face et j’ai été attaché comme lui. Les flics ont fermé la porte et nous ont laissé seuls quelques minutes. Le gars m’apprend qu’il s’appelle David, que ça faisait des années qu’il évitait les emmerdes grâce à de parfaits fafiots et à sa crinière tout ce qu’il y a de plus aryen. Il avait peur aussi et m’a dit qu’il était prêt à se bagarrer si on devait faire une nouvelle emplette carcérale. Alors on a convenu de ce qu’on ferait si le cas se présentait. Figure-toi que c’est très précisément ce qui allait se passer ! Là, ils ont rouvert et un gendarme a vérifié nos liens puis s’est assis côté sortie avant que son pote ne referme. Et on a démarré.
On s’est arrêté au coin Saint-Mich-Saint-Ger et notre gentil accompagnateur est descendu. On a entendu qu’ils allaient chercher un autre gonze. J’en ai profité pour m’allonger. Quand notre futur complice involontaire s’est raboulé j’me suis fait enguirlander par le maton qui menaçait de me faire tâter de son bâton. Comme prévu, l’autre s’est assis en face et je me suis relevé avant d’en prendre une. Le maton m’a cherché des noises avant de finir son chantier alors je l’ai agrippé et arraché ses clés en le poussant des pieds vers David qui l’a chopé par derrière. Là on a crié à notre nouveau pote de se barrer en vitesse. Il a été moins rapide que le flic dehors et pendant qu’ils se débattaient, moi je me suis défait de mes liens puis j’ai collé un coup de boule lunaire à l’enquiquineur, ce qui l’a mis dans les vapes pour un moment. J’ai vite détaché mon nouveau camarade de fuite et on a sauté dans la mêlée sous laquelle était notre diversion du jour. Par miracle aucun coup de feu n’avait été tiré et on a ratatiné les affreux venus nous embastiller. David m’a dit de le suivre et on est parti en courant dans le flot de la ville. On a jamais revu l’autre, j’espère qu’il se porte bien. Il a dû avoir une drôle de surprise au moment où il pensait que tout était perdu !
On a fait des tours et des détours pour arriver porte d’Italie. Vu qu’ils avaient gardé nos papiers, rentrer à la maison aurait été idiot. Il m’a emmené chez un ami qui était directeur d’école à Gentilly où on a attendu de recevoir de nouveaux documents pour voyager. Et je l’ai associé à une nouvelle entreprise dangereuse. Il fallait absolument qu’un paquet de munitions situé à Nanterre n’arrive jamais en Normandie.
J’avais déjà touché à l’explosif mais je ne suis pas artificier, c’est pour ça que Franck nous a rejoint. On nous avait dit que c’était particulièrement important. Moi, j’ai toujours pensé que ce genre de mot faisait bien pour remplacer dangereux. M’enfin, on a suivi notre ordre de mission et on a apporté notre contribution à ce fameux débarquement ! Parce que, on l’a appris le lendemain, notre feu d’artifice se déroulait en même temps que celui sur la Manche.
On faisait partie de l’équipe qui devait s’occuper de la cargaison encore dans l’entrepôt. Cette partie allait être du gâteau. Un loustic qui se faisait appeler Guy L’Anguille nous attendait et nous a fait entrer dans le dépôt par une fenêtre de bureau. On a miné les containers et saboté quelques caisses d’ogives pendant que David faisait le guet. On avait fini notre turbin et on allait partir quand on s’est fait repérer. Les Schleus se sont mis à nous canarder, on a riposté mais à moins nombreux et moins armés c’est moins facile. Alors David a balancé une grenade dans le paquet. On a juste eu le temps de se planquer avant de déclencher le brasier. On était bien trop près. Et on s’est fait souffler comme des bougies dans une tempête. Quand je suis revenu à moi, j’ai constaté que mes compagnons eux n’en souffleraient plus jamais des bougies. Ça brûlait ferme et le boucan était terrible à chaque explosion. Les wagons étaient à la verticale. Je voyais le ciel par le plafond qui avait mis les voiles. Comme une machine je me suis levé et j’ai filé sans me faire voir. Je me suis caché cette nuit dedans un terrain vague. Je ne savais plus quoi faire, désorienté, je ne savais même plus si je devais retourner à Gentilly ou pas, et comment ? Après la fiesta de cette nuit, le moindre chat nocturne se ferait trouer la peau avant de pouvoir montrer patte blanche.
J’en ai profité pour faire le point avec moi-même. Je ne pouvais pas décemment retourner à la casbah et à ce que j’en savais, on allait enfin se battre à la régulière pour la liberté de tous. Je me suis rappelé de Flavio la Cravate, un Rital fils de notaire à Courbevoie qui portait toujours de la soie autour du cou. Il était dans le recel d’objets d’art à ses heures et étant à moitié juif, il ne pouvait certainement pas piffer les Teutons. J’ai passé la nuit comme ça calfeutré dans mes pensées à l’abri d’un paquet de chardons.
J’ai attendu qu’il y ait un peu de monde dans les rues pour sortir. J’ai attrapé une pauvre poubelle en zinc qui traînait et je l’ai embarquée pour une balade ; qui aurait l’idée d’emmerder un gars aussi sale qu’un ramoneur qui trimballe une poubelle visiblement vide ? C’est ainsi que la maison Verezano a hérité d’un splendide et authentique bac à ordures qui avait fait ses preuves.
Quel accueil, j’en ris encore ! Il m’a enguirlandé me demandant ce que j’avais foutu toutes ces heures – à boire des coups au café sans doute comme la vieille poche que j’étais. Et de me mettre une claque sur le crâne pour me faire entrer plus vite. Ces retrouvailles ! Cinq ans que je ne l’avais pas vu le bougre. Il en avait bavé mais s’en était sorti en échangeant la paix contre une toile ou une sculpture de temps à autres et en se serrant la ceinture. Son tailleur lui demandait sans doute moins cher en fournitures avec son nouveau régime.
*** rires ***
La fin approche ma belle, je sens mes forces qui me quittent. Alors je vais ta raconter ma dernière évasion J’ai échappé à la mort plus d’une fois mais je sens que cette fois-ci je ne verrai pas le soleil se lever. Ça a toujours été mon moment préféré quand les oiseaux commencent à piaffer, ils savent que le soleil arrive et sont impatients. Il fait encore noir et une brise fraîche remplace l’air immobile de la nuit.
*** silence ***
J’en reviens à mon histoire. Il devenait de plus en plus difficile d’entrer ou de sortir de Paname et on continuait malgré tout notre turbin. Avec Flavio, on a armé tout l’ouest parisien dans la plus grande clandestinité. On apprenait aussi l’avancée des troupes alliées ! Quel bonheur, ils approchaient. De notre côté on avait des escarmouches tout le temps plus nombreuses avec l’ennemi. On se battait comme on le pouvait. Jusqu’au jour où j’ai fini par me faire arrêter. Je ramenais des munitions et du matériel médical aux camarades de Clichy dans un véhicule emprunté aux PT et T. À peine la Seine franchie, je me suis retrouvé dans un nid de frelons vert-de-gris et c’est ainsi que j’ai retrouvé Fresnes pour la troisième fois. C’était le 15 août, la bérézina allemande était en cours puisque – je l’ai appris le lendemain, les alliés étaient aussi arrivés à débarquer en Provence depuis l’Afrique !
J’ai passé ma première nuit au sous-sol dans une cage en acier qui faisait un mètre carré. L’endroit était crasseux et on entendait les geignements sourdre des murs. J’ai été copieusement frappé sur le chemin et je n’étais pas en bon état. J’ai rien eu à grailler ni à boire non plus. Seules mes oreilles m’informaient qu’il y avait du charivari dans les étages au-dessus. Et dès p~ffll’ minet, on est venu me chercher pour m’informer qu’on n’allait pas me fusiller pour terrorisme au Mont Valérien. On y a même fusillé une femme à ce qu’on dit. Mais que j’avais droit à une place en première pour la Pologne. Ils m’ont envoyé dans une cellule au premier étage et j’ai enfin pu me remplir la panse.
La nuit fut courte. A la fenêtre les avis de décès chantés ont précédé ceux des jugements rendus. Je peux te dire que j’étais loin d’être en forme mais j’étais encore plus loin de me laisser faire. À l’aube, on nous a fait sortir pour une marche forcée. On abandonnait les lieux ! Le bruit courait que des blindés français arrivaient ! Quelle joie. C’était stupéfiant de voir des milliers de détenus en haillons pour la plupart sortir de l’établissement. En rangs par deux, entourés de sulfateuses qui grinçaient d’envie de nous cracher les pralines, on s’est mis en marche vers l’est jusqu’à Créteil où on a investi un entrepôt.
Là, on a été triés et j’ai rejoint le plus gros d’une troupe ravagée. On se savait condamnés. Certains étaient fatalistes et d’autres, comme moi, un brin énervés de voir la fin arriver alors que les alliés ramenaient leur fraise. J’ai rejoint un petit groupe de mectons chauds pour en découdre et on s’est promis de pas se laisser faire et on a passé en revue les différentes options qui se présentaient à nous.
Un train est arrivé pendant la nuit et on savait qu’on ne devait surtout pas y monter. Pour toute arme, on avait quelques planches. Quand les portes se sont ouvertes, on a compris que notre heure était arrivée. On s’est mélangé à la foule et quand les premiers sont passés pour grimper dans le convoi, on a créé un mouvement de foule. Avec ce début de panique les volontaires et moi on s’est rués sur les premiers gardiens armés. Des coups de feu ont éclaté et d’un seul mouvement une déferlante de liberté a roulé sur des Boches. Je me suis ouvert un passage à coup de latte de bois et c’est là que j’ai mangé un premier pruneau qui m’a coupé le souffle.
Un vieux camarade m’a ramassé et on a pris une sortie latérale. Il m’a traîné en m’encourageant. Il connaissait une planque sûre qu’il disait. Arrivé en bord de Seine, il a essuyé une balle avec son front et a cessé de faire le vivant. J’ai réussi à me jeter dans l’eau et c’est accroché à ma planche de salut que j’ai encore pris une bastos dans le buffet. J’avais les éponges qui se remplissaient d’eau et les veines qui se vidaient de mon sang, je perdais conscience et je me souviens qu’une péniche approchait… le coup d’après j’étais là dans cette piaule avec les toubibs qui faisaient de moi un cadavre en sursis…
C’est drôle comme te parler m’a fait oublier la douleur. Je ne sens plus rien, j’ai froid. Dis à ma Germaine que je l’aime – Germaine Petit rue des Martyrs. Dis-lui que je pense à elle et au môme et que je me suis battu jusqu’au dernier souffle…
La dernière lampe s’éteint – simultanément s’allume un projecteur sur l’infirmière :
– Ça va aller Monsieur, vous allez être content, Leclerc est arrivé pendant que vous étiez entre la vie et la mort, il a libéré Fresnes puis Paris dans la foulée. Paris est libre Monsieur vous entendez ? Libre.
Monsieur ?
-
Philippe, Fresnes 2018
Atelier écriture Fresnes 5
Rolande, « mon seul amour »
Le 21 juin 1944, Jaconelli raconte sa première rencontre avec son amoureuse à un de ses codétenus :
Ah, ma si tendre Rolande, elle, si courageuse ! Elle qui me donne cette force de lever la tête et cette phrase que nous répétions ensemble sans cesse : Vivre libre ! C’était la promesse qu’on s’était faite : vivre libre et ne jamais rien regretter. Comme si ce jour était hier : je la revois, belle et qui me sourit, je me retourne et je demande à Marcel :
— Qui est cette fille ? Elle me semblait familière.
— Ne me cache rien !
Et en même temps, le rire de Marcel en disait long. Elle est assise derrière un bureau, je me rapproche d’elle, lui demande : C’est pour quoi faire ces papiers ? En fait, c’était juste pour la voir de plus près, pour absorber son regard et qui « waaaahou » m’embrasa de désir. Elle me voit sourire et me dit :
— Ces papiers dont des tracts, pour que les commerçants qui souhaitent fermer nous apportent les aliments et ne laissent pas profiter ces gueux de Chleuhs !
Je regarde l’horloge et arrête de sourire car il est temps de partir, j’ai rendez-vous à Javel avec des amis de Marcel, que j’ai déjà vus et à qui j’ai été présenté, des FTP. Donc pour faire bonne impression et parce que je veux arriver à l’heure, je cherche à connaître son prénom :
— Désolé, je dois partir.
J’ajoute :
— Moi, c’est Louis, dit “le Valeureux” et heureux de t’avoir rencontré.
Elle me dit d’une voix chaleureuse :
– Moi, c’est Rolande, la résistante .
Je presse le pas pour enfiler mon manteau et avec spontanéité, elle me dit :
— Je suis là tous les jours pour faire ces tracts.
D’un regard langoureux, je luis dis :
— Je reviens ce soir.
Je cherche du regard Marcel pour lui dire que j’y vais. À ce moment-là, un énorme vacarme se fait entendre à l’avant du local, je me précipite et je vois un collègue en sang, mais comme des camarades s’occupent déjà de lui, je dis à Marcel :
— C’est le moment, je dois aller au rendez-vous et avec ce qui vient de se passer, j’ai le sang qui chauffe. Et je te prends une bicyclette ?!
Il me répond :
– Non, ne fais pas le con, vous n’aurez pas assez de temps !
Et d’un air enjoué, je lui tape sur l’épaule et lui dis :
— Ce soir, à 20h au local !
Voilà mon anecdote sur ma rencontre avec Rolande, avant ma première péripétie du vol des bicyclettes pour et avec les FTP.
Le soir, en rentrant, je passe au local. Dans ma tête c’est confus, je m’angoisse à l’idée de la revoir et à la fois je suis confiant. Je prends mon courage à deux mains pour lui proposer de sortir, non pas à une terrasse mais dans un lieu sûr, parce qu’avec tous ces Chleuhs, j’ai peur de la mettre en danger. Alors je la cherche pour voir si elle est d’accord, et je suis surpris de la voir là, entourée d’amis filles et garçons, de FTP et de mon pote Marcel. Vu sa réaction toute à l’heure, je me demande s’ils ne sont pas ensemble, en fait. Et sur cette pensée, je me mets à faire de mi-tour, sans que personne ne me voit et je rentre pour dormir, car j’étais fatigué.
Le lendemain matin, comme si tout allait si vite dans cette guerre interminable, je suis réveillé par le bruit de tirs, je suis déterminé à sortir ma famille de cet enfer. Sorti de la salle d’eau, après avoir avalé mon café, enfilé mes baskets, j’embrasse ma mère et mon père, comme si c’était le dernier jour. Je claque la porte, je sors et voilà que je vois Rolande et Marcel. Ils m’aperçoivent et viennent à moi, et moi, un peu énervé de la veille, je leur adresse un bonjour sec. Marcel sent que je suis pas bien, il me prend à part et me dit :
– Qu’est-ce qui y a, camarade ?
– Je vais être franc, elle me trouble. Je vous ai vu ensemble hier au local et je vous vois encore ensemble ce matin, lui répondis-je d’un air attristé.
Marcel me tape sur l’épaule :
– Tu crois qu’il y a quelque chose entre nous ? Nigaud, c’est ma sœur. Respecte-la, c’est ma grande sœur, je la protège, tu comprends.
– Oui. Je suis d’accord avec toi et c’est pour ça que j’ai voulu être honnête.
Je vis Rolande, brillante et étincelante, me regarder par-dessus l’épaule de Marcel, et me sourire. Je sentais le soleil rayonner, tout cela pendant que Marcel me murmurait :
– Elle m’a parlé de toi hier, m’a demandé qui tu étais ; et moi aussi je t’attendais, tu es passé où hier soir ?
– Je me sentais fatigué, je suis rentré me reposer pour prendre des forces.
– L’Occupation, l’oppression, j’ai l’impression qu’on tourne en rond.
Il se tourna en direction du local et sans un mot nous sommes partis. Arrivés à l’usine que nous avions privatisée et sécurisée, à l’abri de tous, nous vîmes notre petite équipe de FTP dont Alain, le responsable et ami de longue date de Marcel.
J’étais conscient que ma vie prenait un nouveau tournant, je sentais que j’étais dans une forme olympique et plus jovial. Nous avons pris nos postes et travaillé comme si la guerre était de passage. Bien sûr, je ne pensais qu’à Rolande…
Plus tard, en prison :
Voilà, ce triste jour, j’apprends cette terrible nouvelle que je ne voulais pas entendre.
Tout commence par un grand calme aux alentours de 14h, la fenêtre toujours ouverte pour entendre le bruit de l’extérieur, les oiseaux, le vent. Je sens que les FTP prépare un coup, où et comment, je ne le sais pas. J’entends des cris qui viennent de l’entrée de la prison. Dans les couloirs, les bruits de pas accélérèrent. Un emballement général. Même mon cœur bat fort à travers mes côtes. Mon codétenu et moi, nous nous précipitons pour taper à la porte, comme tout le monde, pour manifester notre joie ou notre mécontentement, comme à notre habitude. Mais là, bizarrement, rien n’est habituel et nous nous demandons s’il ne s’agit pas de la fin de la guerre. Que se passe-t-il ? Nous sommes toujours sans nouvelles de nos proches et je suis angoissé à l’idée qu’un drame puisse se produire. C’est pour cela que je me prépare à l’idée de sortir de là. Dans un coin de ma tête, un rêve, une vie sans guerre. Vivre libre avec ma Rolande, notre petit chat trouvé non loin du local, notre îlot d’amoureux, un champ et une ferme bien entretenue. Mais quand ? La réalité me rattrape et j’entends mon collègue crier à destination du 5e étage par la fenêtre :
– C’est qui ? c’est qui ? Je lui demande ce qu’il se passe et il me dit que le gars d’en haut voit de la fumée vers l’entrée de la prison comme si quelqu’un tentait de forcer le passage…
Mikael, Fresnes 2018
Atelier écriture Fresnes 4
Le laurier
Je suis Maurrier Raoul, né le 01/08/1905 dans la ferme familiale à une dizaine de kilomètres de Toulon, de parents paysans et fils unique. Nous vivions modestement grâce au travail à la ferme de mes parents, j’allais à l’école et je les aidais avant et après les cours. Mais à mes 9 ans, tout changea. Dimanche 2 août 1944, la première guerre mondiale éclate. Un ordre de mobilisation générale fut émis : 8 millions de soldats furent mobilisés, dont mon père, et ce fut le dernier jour où je le vis. Pour ma mère et moi se posaient des questions : qui moissonnerait ? qui finirait de rentrer la paille ? qui labourerait ? qui s’occuperait des champs ? Pour ma part, la plus grande question était : quand reverrai-je mon père ?
JAMAIS.
Mais à ce moment je ne le savais pas encore. Après les cours, je me dépêchais de rentrer à la maison, afin d’aider ma mère à faire tourner la ferme, et ce fut ainsi jusqu’à la fin de cette guerre… 11 novembre 1918. 2 millions de morts, 4 millions de blessés graves.
Je ne vis pas le retour de mon père, était-il mort au combat ? Avait-il été fait prisonnier ? Où ?
1939, 1er septembre, la Seconde Guerre mondiale s’enclenche avec l’invasion de la Pologne… J’ai 34 ans… Entre temps, je me suis marié, j’ai eu 2 enfants et le 3e est en cours. Ils vivaient avec moi dans la ferme familiale qui nous nourrissait et nous abritait, et dont je m’occupais à plein temps depuis mes 18 ans… Toujours pas de nouvelles de mon père…
Je quittai ma famille afin de me battre contre cette invasion allemande, ces Boches ou, plus particulièrement, comme nous les nommions les lézards verts. Je décidai de rejoindre le mouvement de Résistance de la Zone Sud, d’un maquis appelé Libération Sud, constitué d’une quinzaine de personnes, au sein duquel nous nous appelions par des pseudonymes, le mien était Le Laurier, car comme cette plante, j’étais discret et me fondais dans le décor, mais j’étais tout aussi important, comme elle qui donne du goût à n’importe quel plat. Je mis à disposition ma grange dite « L’antenne du Laurier », où il y avait des réunions afin d’élaborer des stratagèmes tels que le plaquage de tracts, le vol de tickets d’alimentations, le déraillement de trains, le sabotage de centrales électriques et de câbles téléphoniques, la disparition de stock de pièces de rechange, etc. On les nomma sous des noms d’opération : « Aller aux parisiens », « aller aux haricots et aux pommes de terre », « faire un chemin de fer » et plein d’autres dans le même esprit.
1940, à Marseille, Tudor chef du réseau « famille » s’occupe avec « l’équipe 300 » de participer à des écoutes radio, du déchiffrage des émissions allemandes et italiennes, à des égarements de plis, le changement de destination de wagons, destruction des hangars des pièces détaillées.
Nous nous joignons à eux.
1941, la Résistance s’organise en réseau, le 28 janvier, Henry Fresnay fonde à Marseille le Mouvement de libération national et ma ferme fut transformée en un lieu stratégique qui permettait la liaison entre le réseau de Marseille et la zone de maquis au Vercors, le plus grand de France. Nous abritions la nourriture, les habillements, les plis détournés, les renseignements, l’essence, les munitions et armes volées dans les wagons qui permettaient de ravitailler les deux réseaux de Résistance. La plupart de mes champs c’étaient transformés en camps d’entraînement de tir. Et ma mère vendait au marché noir pain, blé, beurre, viande, pommes-de-terre.
Le 26 novembre 1942, dans la nuit, mon groupe participa au sabotage de la flotte de Toulon, 90 navires, 3 cuirassiers, 7 croiseurs, 16 contretorpilleurs seront détruits quelques minutes avant l’arrivées des blindés allemands qui voulaient s’approprier la flotte.
1944, le 28 mai, après plus de 18 mois à me faire le plus discret possible, tout en m’occupant de la ferme et de ses activités annexes, je fus arrêté le 6 juin après 9 jours de torture sans fin et fier de n’avoir rien dit, le tribunal allemand de Toulon me condamna à mort et je fus transféré à la prison de Fresnes où j’appris que je serai exécuté le 16 août.
J’arrivai le 8 juin à la prison de Fresnes…. Dans une camionnette avec 7 autres prisonniers. Depuis les vitres nous vîmes une longue allée bordée d’arbres qui camouflaient la prison de Fresnes : 3 grands bâtiments aux toits rouges, tels de grand navires immobiles qui se dressaient devant nous.
La camionnette s’arrêta dans une cour, on descendit et on se confronta à une énorme grille de fer que les gardiens ouvrirent de l’intérieur, on s’y engouffra. Un long et large corridor se montra a nous, vide, froid, telle une usine sans vie, une espèce d’enfer glacé y régnait.
Pour ma part, je m’arrêtai en première division, direction le premier de 4 étages reliés par des passerelles aux rambardes de fer, le tout peint de blanc et de vert.
Cellule 149, une porte en bois avec un judas s’ouvrît et je rentrai dans ma dernière demeure… Une cellule sans âme, froide, avec juste une tablette pliante, une chaise accrochée au mur par une chaîne, une ampoule, un WC au coin, un lit en fer avec paillasse que l’on pouvait relever le jour afin d’avoir plus d’espace dans ces 8m2, une fenêtre à barreaux d’ou on pouvait sentir l’air frais et libre du dehors… Et quatre murs d’un blanc étincelant, tellement blanc que je décidai d’y écrire mon passage :
Maurrier Raoul condamné à mort par le tribunal Militaire Allemand le 6 juin de Toulon dirigé sur Paris pour exécution le 16 août
-
Lettre :
Ma chère et tendre femme,
Aujourd’hui, on me permet d’écrire une lettre étant condamné à être exécuté le 16 août, je sais que cela fais deux mois que tu es sans nouvelle de ma part et je suis triste car je sais aussi que lorsque tu liras cette lettre, je ne ferai plus partie de ce monde.
Mon Amour, je te laisse le fardeau d’élever seule nos trois enfants adorés du mieux que tu pourras et je te fais confiance pour cela. Je te prie d’avoir du courage, beaucoup de courage.
Je te remercie pour ces quelques années de bonheur que tu m’as données…
Je t’aime ma femme, embrasse fortement nos 3 enfants, parle leur de moi afin qu’ils ne m’oublient pas et explique leurs pourquoi je me suis battu : pour eux, pour vous, afin d’avoir un avenir sans ces foutus Boches… Je te laisse choisir les mots afin d’expliquer à ma mère ma future destination et le fait qu’elle ne reverra plus son fils…
Tu trouveras là où tu sais tout le nécessaire afin d’affronter l’avenir…
Je t’aime.
Ton Raoul.
Le 13 août, je suis gracié, j’échappe à mon exécution sans savoir le pourquoi du comment mais je ne veux pas en savoir plus… Je suis LIBRE et je suis vivant. J’écris sur le mur, à la suite de mon précédent texte :
gracié 3 jours avant Vive la liberté ! demain je pars pour Toulon embrasser ma femme chérie et mes 3 enfants adorés
Matthieu, Fresnes 2018
Atelier écriture Fresnes 3
Jules Henry
Je suis né le 15 octobre 1924 à Oignies dans le Pas-de-Calais. Je suis marié avec Laura depuis 4 ans et père de deux enfants, Julien et Marc. J’ai commis un attentat contre les Allemands le 16 avril 1942, pour lequel j’ai été condamné à mort.
Ma participation à la Résistance a commencé il y a plusieurs années maintenant, suite au meurtre de mes parents par les Allemands. Cet évènement m’a marqué et m’a fait très mal. Mes parents habitaient dans le village d’Oignies. Ils étaient juifs. Les Allemands ont envahi tout le village le 26 mai 1940, ont fait sortir tous les habitants de leurs maisons, les ont alignés devant leurs portes et les ont mitraillés. Ce jour-là, j’étais venu rendre visite à mes parents avec le plus grand de mes fils et je m’étais caché dans le placard de mon ancienne chambre avec lui. Nous avons tout entendu : les détonations et les cris. Nous sommes restés cachés pendant 3 jours dans le noir, sans manger et sans boire. Nous transpirions, effrayés, il faisait tellement chaud là-dedans. Il y avait beaucoup de coups de feu, des gens qui criaient. Soudain nous avons senti de la fumée et nous sommes sortis de notre cachette, car nous n’arrivions plus à respirer. Notre maison avait pris feu, il y avait de grandes flammes et toute la maison s’effondrait avec tous nos souvenirs. Mon fils pleurait car son doudou était resté à l’intérieur, mais impossible de revenir sur nos pas. Dehors, nous avons trouvé nos deux parents allongés dans une mare de sang devant le portail de la maison. Je suis tombé à genoux, abasourdi, puis je me suis relevé et nous avons suivi un groupe de villageois qui avaient survécu et qui fuyaient le village.
Par la suite, J’ai pris contact avec un ami qui travaillait dans les chemins de fer et qui m’a proposé de rejoindre son groupe.
Ça m’a donné l’une idée de commettre un attentat pour saboter la ligne SNCF Paris-Cherbourg. Pendant la nuit du 16 avril 1942, entre Mezidon et Caen, au 222,04 km exactement, j’ai déboulonné le rail que j’ai déporté sur 50 cm. Quand le train composé de 10 voitures est arrivé à 90 km/heure, il est sorti de ses rails, il a labouré le balaste pendant 60 m, puis buté contre un talus et a fini par se coucher sur le côté. Deux voitures ont été pulvérisées, entraînant la mort de 26 militaires allemands et en blessant une quarantaine. Voilà, j’avais enfin vengé mes parents en tuant tous ces allemands ! Avec les camarades, nous avons volé un camion allemand pour aller se cacher en Bretagne à Dinard chez un ami, mais il y avait un barrage allemand sur la route. Nous nous sommes fait arrêtés et nous avons été questionnés par les Allemands qui nous torturés pendant plusieurs jours. J’ai fini par avoué que j’avAis commis le sabotage du Paris-Cherbourg avec les permissionnaires allemands, puis j’ai été conduit en prison.
Une fois arrivée à Fresnes j’ai été mis dans une cellule de 9m2 dans laquelle je faisais les 100 pas. J’ai commencé à écrire sur le murs, j’ai ouvert la fenêtre pour parler avec les détenus et j’ai même réussi à me mettre un surveillant dans la poche qui me ramenait à manger en cachette. Il était très gentil avec moi et j’en ai profité pour qu’il transmette un premier message à ma femme afin qu’elle ne s’inquiète pas, qu’elle sache que j’étais incarcéré à la prison de Fresnes et que tout allait bien, bien qu’en réalité je vivais mal d’être enfermé, loin de mes proches, où chaque bruit de serrure me fait craindre que ça ne soit mon dernier jour.
J’ai comparu devant un tribunal allemand, j’ai été condamné à mort mais avant mon exécution, j’ai écrit une dernière lettre à ma femme :
-
Chère Laura,
Je suis incarcéré à Fresnes. Je vais mourir dans quelques heures. Prends soin des enfants, fais en sorte qu’ils deviennent des hommes forts, honnêtes et matures. Dans notre maison, dans la cuisine, tu trouveras une boîte noire avec de l’argent. Récupère-le et fuis le pays avec les enfants, loin des Allemands. Je n’ai pas peur de mourir. Je suis heureux de sacrifier ma vie pour la Résistance et pour vous. Prenez soin les uns des autres. Je vous embrasse. À jamais. Ton bien aimé Jules.
Mankan, Fresnes 2018
Atelier écriture Fresnes 2
Fernand de Stains
Je me situais en 1940, au début de l’invasion de la France par les Allemands. J’ai tout perdu un beau matin. Mon emploi d’instituteur, ma femme juive et notre unique enfant. Quand j’ai appris que les Allemands nous envahissaient, je me trouvais à l’école où j’enseignais. Ma femme et mon fils étaient sortis après mon départ pour se promener et faire des courses. C’était la dernière fois que je les voyais, ils ne sont plus jamais rentrés à la maison. Inquiet, je quittai le travail pour rentrer les chercher. À mon arrivée, surprise, les Allemands avaient déjà commis des massacres et je ne savais pas s’ils avaient réussi à fuir avec d’autres ou s’ils faisaient partie des personnes tuées.
Mon village a été envahi tout au début car il se trouvait du mauvais côté de la ligne de démarcation. Je vis une grande partie des villageois se faire lyncher, chasser, violer par les soldats, torturer et exécuter en place publique. À la vue de ces horreurs à répétition durant des mois (les cris des personnes torturées chaque nuit, suivis d’un silence de mort au petit matin ; les retentissements des tirs du lever de soleil jusqu’à la nuit tombée pour les exécutions ; et enfin, le pire, devoir vivre près des fosses communes remplies de nos femmes et de jeunes villageois afin d’être brûlés, y compris les nourrissons), je décidai de me mettre à cacher les plus démunis dans le sous-sol de ma maison dont la trappe d’accès était bien dissimulée. Le village ressemblait de plus en plus à un four. Près des fosses, on retrouvait généralement des femmes dévêtues dont les corps n’avaient pas été carbonisés. Certaines agonisaient sur et sous les amas de cadavres après avoir été violentées sexuellement à plusieurs reprises par les SS. De pareilles abominations me paraissaient invraisemblables, mais je ne peux les nier car malheureusement j’y ai assisté.
Après seulement une semaine, la cave fut pleine. Afin d’avoir un plus grand impact sur le déroulement de cette guerre, j’ai voulu rejoindre la France libre. Mais je ne pouvais partir en laissant ces pauvres gens qui avaient tant subit durant ces derniers mois. Je décidai donc de les confier à un copain d’enfance, Fred, qui vivait au coin de la rue, mais pour cela il devait habiter ma maison pour ne pas paraître trop suspect. Car les soldats allemands patrouillaient jour et nuit, ce qui empêchait un déplacement chez des voisins, particulièrement pour les plus handicapés.
Fred accepta sans rechigner et, maintenant que j’y pense, il n’avait jamais accepté quoi que ce soit venant de ma part, sans avoir son mot à dire. Mais je ne me suis pas méfié et nous avons pris alors la décision de nous donner rendez-vous le lendemain aux aurores, avant mon départ pour rejoindre la Résistance, afin que je puisse le briefer une dernière fois.
La nuit précédant mon départ, après avoir préparé quelques affaires, je m’apprêtais à partager un dernier repas avec les personnes qui s’étaient réfugiées dans ma cave. Nous ne savions pas, si après ça, nous nous reverrions sains et saufs. Nous avons eu raison de célébrer ce dernier soir ensemble, car durant la bénédiction pour passer à table, une personne s’est mise à toquer à la porte sans arrêt. Je me suis levé afin d’ouvrir, après que tout le monde se soit caché. Avant d’arriver à la porte, deux SS ont surgi en la défonçant d’un coup d’épaule, suivis d’un haut gradé Waffen-SS qui foula le sol de ma maison sans dire un mot. Il me fit asseoir par ses seconds et jeta des coups d’œil pour inspecter la pièce où il se trouvait, puis s’approcha de moi calmement. Et d’un air sûr, il me demanda :
— Depuis combien de temps caches-tu nos ennemis ?
Pris de panique et choqué par son assurance, je me savais fait comme un rat, mais aucun mot correct ne sortait de ma bouche, je me suis mis à bafouiller :
— Non, personne…, en me disant qu’ils n’avaient aucune preuve contre moi. Il regarda son second en lui faisant signe d’ouvrir la porte et de faire entrer la personne qui se trouvait derrière. Je vis avancer Fred, mon ami d’enfance, celui à qui je disais tout, qui avait toute ma confiance ! Il nous avait trahis et nous avait dénoncés afin de sauver sa misérable vie. Mais à peine entré, un soldat SS s’approcha derrière lui et, à bout portant, lui mit une balle dans la nuque. Le haut gradé SS me reposa la même question :
— Depuis combien de temps caches-tu nos ennemis ?
J’étais cuit, mais je ne voulais pas qu’ils trouvent les occupants de mon sous-sol. Si eux parvenaient à survivre ce serait une grande joie et victoire pour moi. Après avoir repris mes esprits, je lui répondis brièvement :
— Une semaine.
Il rétorqua :
— Où sont-ils maintenant ?
— Partis ! Ils ont tous fuit le village peu de temps après le début des massacres, de peur pour leurs vies.
Dans un silence glacial, il se dirigea vers la cheminée où se trouvait la trappe qui mène au sous-sol, il mit la main sur l’ouverture au-dessus de la cheminée.
Il se retourna et avant d’ouvrir me dit :
– Ok, si c’est tout ce que tu as à dire alors tu ne me sers à rien. Toutes les informations que tu essaies de dissimuler depuis le début, je les connais déjà. Sache-le avant ton départ.
– C’était Fred qui vous renseignait ?
– Oui. Ton ami qui vient de mourir, un membre de ta patrie t’a trahi. Qu’est-ce que cela te fait ?
– C’était un lâche et un minable, il mérite ce qui lui est arrivé.
– Ok. Maintenant ils vont tous mourir et toi tu vas vivre pour t’en rappeler. Embarquez-le !
A peine passé la porte, escorté par deux soldats, les rafales retentirent, accompagnées de flash lumineux venant de la cave. Ce fut la dernière fois que je vis ce village de Stains (et ses 124 morts).
On m’emmena immédiatement dans le van des SS en direction de Fresnes le 23 novembre 1940. À l’arrivée de ce van, je revivais en boucle chaque exécution que j’avais vu durant cette année d’horreur, en me disant que c’était mon tour, que mon heure était venue. Mais un des fraülein, chargé de mes déférer, se mit à rire et à me faire comprendre que je ne mourrais pas si vite. Qu’à mon arrivée à Fresnes, des soldats de la Gestapo feraient de moi leur objet de torture.
Il ne se trompait pas, durant la semaine qui a suivi mon arrivée, je me faisais frapper du matin au soir, sans qu’ils ne m’adressent un mot. Je n’avais pas de lit dans ma cellule, mon repas était toujours retourné face au sol, mélangé aux excréments des rats, de façon à ce que je ne puisse pas manger ou que je tombe malade.
Mais je n’y touchais pas, je ne me nourris qu’à l’eau pendant 1 semaine.
Après la semaine de torture, ils passèrent aux interrogatoires mais toujours en me frappant brutalement, que je réponde aux questions ou non d’ailleurs.
La plupart des questions portaient sur la Résistance, ses objectifs, la localisation de planques…
Je ne savais rien de tout ça car je n’avais pas pu arriver aux portes de la Résistance, mais ils ne me croyaient pas car Fred leur avait déjà balançait tous mes plans, sans omettre de dire que j’avais fait appel à lui pour garder des réfugiés qui se trouvaient chez moi afin que je puisse être plus actif dans la résistance, ce qui ne joua pas en ma faveur…
Libéré le 15.08.44, 10 jours avant la libération de Paris et la venue du général de Gaulle sur les Champs-Élysées. Voilà mon histoire durant la guerre, qui m’a valut 4 ans d’incarcération à Fresnes.
« Tombé par une salope de copain » !!!
David, Fresnes, 2018
Atelier écriture Fresnes 1
Je vous écris cette présente lettre qui va vous raconter ma sombre histoire. Je suis âgé de 25 ans, je suis né en 1917. Je suis né et j’ai vécu en terres polonaises. Je suis d’origines juives, artisan boulanger de père en fils. Mon père, ma mère, mes deux petits frères et moi, travaillons tous dans notre boulangerie familiale située au 15, rue de Montparnasse (d’où mon surnom « Robert de Montparnasse »). Je suis assez robuste : 1m82, 85kg. Une tête en forme de pain de campagne, une grosse moustache avec de longues bouclettes aux bouts, et, c’est triste à dire, mais j’ai une calvitie précoce pour mon âge. Je suis marié depuis mes 20 ans à Lucile et nous étions très heureux. Je n’oublierai jamais son parfum de lavande et sa douce petite voix.
Depuis quelques années, ces maudits nazis nous ont complètement envahis, il y en a partout, à chaque coin de rue, au marché, dans les commerces… Leur prise de pouvoir fut totale sur nous et notre famille subît leurs vols permanents au sein de notre boulangerie.
Il était temps que je me retrousse les manches et que je les chasse le plus loin possible de chez nous.
Mon petit frère, Alex, me présenta à un ami qui, à son tour, me présenta à un autre ami qui était résistant. Il m’expliqua l’action de son groupe appelé F.T.P et je décidai de les rejoindre. Je devais faire mes preuves en montrant ce dont j’étais capable.
Ainsi, depuis deux semaines, j’ai commencé ma rébellion en empoisonnant à l’ammoniac, à petites doses, les pains destinés aux Allemands, pour les tuer à petit feu d’une mort silencieuse. Dans le journal, j’ai appris que certains nazis avaient été empoisonnés et je rapportais la nouvelle uniquement à ma famille. Mon action a évolué avec le temps, les doses de poison aussi, afin de tuer le maximum d’Allemands. Les juifs, ceux de notre race, nous les nourrissons sans ticket de rationnement, uniquement en argent. Nous demandons leur carte d’identité à chaque client pour vérifier leur appartenance raciale.
Un matin, sous un ciel nuageux, nous recevons une équipe de Boches qui casse toute la boulangerie et y met le feu.
Les membres de ma famille et moi-même fûmes passés à tabac sous une rafale de coups violents.
Le gradé avait annoncé la couleur :
– Bande de chiens, vous nous empoisonnez et vous êtes juifs !!!
Les cris et les larmes sortaient en abondance de nos corps estomaqués, nous n’avions plus de force, nous avions été dénoncés comme étant juifs. Dans la rue, un satané camion boche était stationné, nous avons essayé de nous rebeller, mes frères et moi, contre les Boches qui nous forcèrent à rentrer dans le camion. Nous fûmes tous jetés dedans comme de vulgaires chiens. Encastrés à l’intérieur, les uns sur les autres, avec un grand nombre de personnes venant de rafles précédentes. L’air était restreint, il était difficile de respirer, certains tombèrent dans les pommes, d’autres crièrent dans l’angoisse. Tout le monde est dans une panique totale quant à son sort. Ils nous emmenèrent vers une direction inconnue. Puis nous sommes arrivés devant un grand bâtiment grisâtre. A la sortie du camion, un soldat nous mit une cagoule sur la tête.
L’un des SS m’emmena dans une pièce sombre. Je fus attaché à une chaise et roué de coups.
– Pourquoi tu as empoissonné les pains pour nous tuer ? Qui est le chef ?
Je ne cédai pas, aucun mot ni bruit ne sortait de ma bouche. Un autre garde prépara ses outils afin de me torturer. Sous mes larmes de douleurs, j’y ai perdu mes deux pouces, passés sous la tenaille de ce boucher. Rien à tirer de cet interrogatoire. Ils me jetèrent dans un camion, seul et sans ma famille. J’ai été torturé pendant douze heures puis admis à la prison de Fresnes en tant que terroriste. J’y ai passé six mois, sans aucune liberté, ni aucune nouvelle de ma famille.
Sept jours après, je me réveille dans un camp, je cherche partout mais ne vois aucun membre de ma famille. Je suis dans une cage barbelée, remplie de terre sèche. Un homme squelettique me dit que nous allons tous y laisser notre peau. Je lui dis :
– Je refuse de mourir juste parce que je suis juif.
– Nous le sommes tous dans ce camp, me répond cet homme qui avait rendu les armes et était prêt à rendre aussi l’âme.
Le temps passe, passe…
Cela fait cinq mois que je suis dans cet abattoir maudit, l’odeur de la mort est palpable.
-
Bernard, Fresnes 2018
Ateliers à la Maison d’arrêt de Fresnes
Ateliers d’écriture
Les participants aux ateliers d’écriture ont pris connaissance du projet de création transmédia Murs de Fresnes et du livre d’Henri Calet, Les Murs de Fresnes. Un travail de contextualisation historique a été effectué : rappel des dates clés de la seconde guerre mondiale, de l’organisation et du déploiement de la Résistance, du sort des prisonniers sous l’occupation en Ile-de-France, du fonctionnement de la prison de Fresnes sous mainmise allemande, de l’importance des graffitis comme arme de contre-propagande. Tout le travail s’est appuyé sur des documents d’archives (photos, films, correspondance) analysés avec les participants. Des parcours de prisonniers identifiés grâce aux graffitis du livre de Calet ont été communiqués ainsi qu’une liste de graffitis, parmi lesquels les participants ont été invités à en choisir un pour écrire un récit. Le travail d’écriture s’est fait individuellement. Les participants ont commencé par répondre à une grille de questions biographiques avant de développer une histoire qui retracerait la vie et les raisons de la présence des auteurs de ces graffitis à la prison de Fresnes.
Les ateliers se sont déroulés du 5 décembre 2017 au 12 janvier 2018.
Intervenants : Judith Depaule et Matthieu Dandreau
Ateliers chant
Au cours de l’atelier, les participants (12 détenus) ont travaillé les chants que reprenaient les détenus de la prison de Fresnes pendant l’occupation allemande. De nombreux témoignages parlent de chants entonnés par les détenus, notamment la veille des exécutions, par solidarité avec les condamnés et malgré l’interdiction, de cellule en cellule, c’est la prison entière qui finissait par chanter.
Chants travaillés en ateliers :
- La Marseillaise
- L’internationale
- Le chant des marais
- Le chant des partisans
Les ateliers ont été réalisés du 17 janvier au 14 février 2018
Intervenante Valérie Joly
Un enregistrement collégial des chants a été réalisé pour clôturer l’atelier.
Scénographie, lumière et partition sonore
La scénographie figure une cellule de prison. Elle est constituée d’une boîte de tulle gris, aux dimensions d’une cellule de la prison de Fresnes, avec à l’intérieur quelques éléments de mobilier : un lit d’appoint, une table, une chaise et une cuvette de toilettes. Une fenêtre et une bouche de chauffage sont figurées en lumière grâce à des gobos.
La lumière qui « passe par la fenêtre » change en fonction de l’horaire des actions et s’agrémente ou non de sources « artificielles ».
Les enceintes de diffusion sont multiples et spatialisées pour rendre compte de l’ambiance carcérale sonore et du réseau de communication utilisé à cette époque (« Radio Fresnes ») : l’extérieur qui provient de la fenêtre, les sons des cellules inférieures et supérieures qui arrive par la gaine du chauffage, les sons de la cellule mitoyenne par la canalisation des toilettes, le son propre à l’intérieur de la cellule et la voix de l’acteur, l’espace sonore mental du personnage. Des vidéos sont projetées sur les faces avant et arrière de la boîte donnant à voir des photos, des textes, des graffitis et des dessins animés.