25.10.18

Atelier écriture Fresnes 5

Rolande, « mon seul amour »
Le 21 juin 1944, Jaconelli raconte sa première rencontre avec son amoureuse à un de ses codétenus :
Ah, ma si tendre Rolande, elle, si courageuse ! Elle qui me donne cette force de lever la tête et cette phrase que nous répétions ensemble sans cesse : Vivre libre ! C’était la promesse qu’on s’était faite : vivre libre et ne jamais rien regretter. Comme si ce jour était hier : je la revois, belle et qui me sourit, je me retourne et je demande à Marcel :
— Qui est cette fille ? Elle me semblait familière.
— Ne me cache rien !
Et en même temps, le rire de Marcel en disait long. Elle est assise derrière un bureau, je me rapproche d’elle, lui demande : C’est pour quoi faire ces papiers ? En fait, c’était juste pour la voir de plus près, pour absorber son regard et qui « waaaahou » m’embrasa de désir. Elle me voit sourire et me dit :
— Ces papiers dont des tracts, pour que les commerçants qui souhaitent fermer nous apportent les aliments et ne laissent pas profiter ces gueux de Chleuhs !
Je regarde l’horloge et arrête de sourire car il est temps de partir, j’ai rendez-vous à Javel avec des amis de Marcel, que j’ai déjà vus et à qui j’ai été présenté, des FTP. Donc pour faire bonne impression et parce que je veux arriver à l’heure, je cherche à connaître son prénom :
— Désolé, je dois partir.
J’ajoute :
— Moi, c’est Louis, dit “le Valeureux” et heureux de t’avoir rencontré.
Elle me dit d’une voix chaleureuse :
– Moi, c’est Rolande, la résistante .
Je presse le pas pour enfiler mon manteau et avec spontanéité, elle me dit :
— Je suis là tous les jours pour faire ces tracts.
D’un regard langoureux, je luis dis :
— Je reviens ce soir.
Je cherche du regard Marcel pour lui dire que j’y vais. À ce moment-là, un énorme vacarme se fait entendre à l’avant du local, je me précipite et je vois un collègue en sang, mais comme des camarades s’occupent déjà de lui, je dis à Marcel :
— C’est le moment, je dois aller au rendez-vous et avec ce qui vient de se passer, j’ai le sang qui chauffe. Et je te prends une bicyclette ?!
Il me répond :
– Non, ne fais pas le con, vous n’aurez pas assez de temps !
Et d’un air enjoué, je lui tape sur l’épaule et lui dis :
— Ce soir, à 20h au local !
Voilà mon anecdote sur ma rencontre avec Rolande, avant ma première péripétie du vol des bicyclettes pour et avec les FTP.
Le soir, en rentrant, je passe au local. Dans ma tête c’est confus, je m’angoisse à l’idée de la revoir et à la fois je suis confiant. Je prends mon courage à deux mains pour lui proposer de sortir, non pas à une terrasse mais dans un lieu sûr, parce qu’avec tous ces Chleuhs, j’ai peur de la mettre en danger. Alors je la cherche pour voir si elle est d’accord, et je suis surpris de la voir là, entourée d’amis filles et garçons, de FTP et de mon pote Marcel. Vu sa réaction toute à l’heure, je me demande s’ils ne sont pas ensemble, en fait. Et sur cette pensée, je me mets à faire de mi-tour, sans que personne ne me voit et je rentre pour dormir, car j’étais fatigué.
Le lendemain matin, comme si tout allait si vite dans cette guerre interminable, je suis réveillé par le bruit de tirs, je suis déterminé à sortir ma famille de cet enfer. Sorti de la salle d’eau, après avoir avalé mon café, enfilé mes baskets, j’embrasse ma mère et mon père, comme si c’était le dernier jour. Je claque la porte, je sors et voilà que je vois Rolande et Marcel. Ils m’aperçoivent et viennent à moi, et moi, un peu énervé de la veille, je leur adresse un bonjour sec. Marcel sent que je suis pas bien, il me prend à part et me dit :
– Qu’est-ce qui y a, camarade ?
– Je vais être franc, elle me trouble. Je vous ai vu ensemble hier au local et je vous vois encore ensemble ce matin, lui répondis-je d’un air attristé.
Marcel me tape sur l’épaule :
– Tu crois qu’il y a quelque chose entre nous ? Nigaud, c’est ma sœur. Respecte-la, c’est ma grande sœur, je la protège, tu comprends.
– Oui. Je suis d’accord avec toi et c’est pour ça que j’ai voulu être honnête.
Je vis Rolande, brillante et étincelante, me regarder par-dessus l’épaule de Marcel, et me sourire. Je sentais le soleil rayonner, tout cela pendant que Marcel me murmurait :
– Elle m’a parlé de toi hier, m’a demandé qui tu étais ; et moi aussi je t’attendais, tu es passé où hier soir ?
– Je me sentais fatigué, je suis rentré me reposer pour prendre des forces.
– L’Occupation, l’oppression, j’ai l’impression qu’on tourne en rond.
Il se tourna en direction du local et sans un mot nous sommes partis. Arrivés à l’usine que nous avions privatisée et sécurisée, à l’abri de tous, nous vîmes notre petite équipe de FTP dont Alain, le responsable et ami de longue date de Marcel.
J’étais conscient que ma vie prenait un nouveau tournant, je sentais que j’étais dans une forme olympique et plus jovial. Nous avons pris nos postes et travaillé comme si la guerre était de passage. Bien sûr, je ne pensais qu’à Rolande…

Plus tard, en prison :
Voilà, ce triste jour, j’apprends cette terrible nouvelle que je ne voulais pas entendre.
Tout commence par un grand calme aux alentours de 14h, la fenêtre toujours ouverte pour entendre le bruit de l’extérieur, les oiseaux, le vent. Je sens que les FTP prépare un coup, où et comment, je ne le sais pas. J’entends des cris qui viennent de l’entrée de la prison. Dans les couloirs, les bruits de pas accélérèrent. Un emballement général. Même mon cœur bat fort à travers mes côtes. Mon codétenu et moi, nous nous précipitons pour taper à la porte, comme tout le monde, pour manifester notre joie ou notre mécontentement, comme à notre habitude. Mais là, bizarrement, rien n’est habituel et nous nous demandons s’il ne s’agit pas de la fin de la guerre. Que se passe-t-il ? Nous sommes toujours sans nouvelles de nos proches et je suis angoissé à l’idée qu’un drame puisse se produire. C’est pour cela que je me prépare à l’idée de sortir de là. Dans un coin de ma tête, un rêve, une vie sans guerre. Vivre libre avec ma Rolande, notre petit chat trouvé non loin du local, notre îlot d’amoureux, un champ et une ferme bien entretenue. Mais quand ? La réalité me rattrape et j’entends mon collègue crier à destination du 5e étage par la fenêtre :
– C’est qui ? c’est qui ? Je lui demande ce qu’il se passe et il me dit que le gars d’en haut voit de la fumée vers l’entrée de la prison comme si quelqu’un tentait de forcer le passage…

Mikael, Fresnes 2018