Le laurier
Je suis Maurrier Raoul, né le 01/08/1905 dans la ferme familiale à une dizaine de kilomètres de Toulon, de parents paysans et fils unique. Nous vivions modestement grâce au travail à la ferme de mes parents, j’allais à l’école et je les aidais avant et après les cours. Mais à mes 9 ans, tout changea. Dimanche 2 août 1944, la première guerre mondiale éclate. Un ordre de mobilisation générale fut émis : 8 millions de soldats furent mobilisés, dont mon père, et ce fut le dernier jour où je le vis. Pour ma mère et moi se posaient des questions : qui moissonnerait ? qui finirait de rentrer la paille ? qui labourerait ? qui s’occuperait des champs ? Pour ma part, la plus grande question était : quand reverrai-je mon père ?
JAMAIS.
Mais à ce moment je ne le savais pas encore. Après les cours, je me dépêchais de rentrer à la maison, afin d’aider ma mère à faire tourner la ferme, et ce fut ainsi jusqu’à la fin de cette guerre… 11 novembre 1918. 2 millions de morts, 4 millions de blessés graves.
Je ne vis pas le retour de mon père, était-il mort au combat ? Avait-il été fait prisonnier ? Où ?
1939, 1er septembre, la Seconde Guerre mondiale s’enclenche avec l’invasion de la Pologne… J’ai 34 ans… Entre temps, je me suis marié, j’ai eu 2 enfants et le 3e est en cours. Ils vivaient avec moi dans la ferme familiale qui nous nourrissait et nous abritait, et dont je m’occupais à plein temps depuis mes 18 ans… Toujours pas de nouvelles de mon père…
Je quittai ma famille afin de me battre contre cette invasion allemande, ces Boches ou, plus particulièrement, comme nous les nommions les lézards verts. Je décidai de rejoindre le mouvement de Résistance de la Zone Sud, d’un maquis appelé Libération Sud, constitué d’une quinzaine de personnes, au sein duquel nous nous appelions par des pseudonymes, le mien était Le Laurier, car comme cette plante, j’étais discret et me fondais dans le décor, mais j’étais tout aussi important, comme elle qui donne du goût à n’importe quel plat. Je mis à disposition ma grange dite « L’antenne du Laurier », où il y avait des réunions afin d’élaborer des stratagèmes tels que le plaquage de tracts, le vol de tickets d’alimentations, le déraillement de trains, le sabotage de centrales électriques et de câbles téléphoniques, la disparition de stock de pièces de rechange, etc. On les nomma sous des noms d’opération : « Aller aux parisiens », « aller aux haricots et aux pommes de terre », « faire un chemin de fer » et plein d’autres dans le même esprit.
1940, à Marseille, Tudor chef du réseau « famille » s’occupe avec « l’équipe 300 » de participer à des écoutes radio, du déchiffrage des émissions allemandes et italiennes, à des égarements de plis, le changement de destination de wagons, destruction des hangars des pièces détaillées.
Nous nous joignons à eux.
1941, la Résistance s’organise en réseau, le 28 janvier, Henry Fresnay fonde à Marseille le Mouvement de libération national et ma ferme fut transformée en un lieu stratégique qui permettait la liaison entre le réseau de Marseille et la zone de maquis au Vercors, le plus grand de France. Nous abritions la nourriture, les habillements, les plis détournés, les renseignements, l’essence, les munitions et armes volées dans les wagons qui permettaient de ravitailler les deux réseaux de Résistance. La plupart de mes champs c’étaient transformés en camps d’entraînement de tir. Et ma mère vendait au marché noir pain, blé, beurre, viande, pommes-de-terre.
Le 26 novembre 1942, dans la nuit, mon groupe participa au sabotage de la flotte de Toulon, 90 navires, 3 cuirassiers, 7 croiseurs, 16 contretorpilleurs seront détruits quelques minutes avant l’arrivées des blindés allemands qui voulaient s’approprier la flotte.
1944, le 28 mai, après plus de 18 mois à me faire le plus discret possible, tout en m’occupant de la ferme et de ses activités annexes, je fus arrêté le 6 juin après 9 jours de torture sans fin et fier de n’avoir rien dit, le tribunal allemand de Toulon me condamna à mort et je fus transféré à la prison de Fresnes où j’appris que je serai exécuté le 16 août.
J’arrivai le 8 juin à la prison de Fresnes…. Dans une camionnette avec 7 autres prisonniers. Depuis les vitres nous vîmes une longue allée bordée d’arbres qui camouflaient la prison de Fresnes : 3 grands bâtiments aux toits rouges, tels de grand navires immobiles qui se dressaient devant nous.
La camionnette s’arrêta dans une cour, on descendit et on se confronta à une énorme grille de fer que les gardiens ouvrirent de l’intérieur, on s’y engouffra. Un long et large corridor se montra a nous, vide, froid, telle une usine sans vie, une espèce d’enfer glacé y régnait.
Pour ma part, je m’arrêtai en première division, direction le premier de 4 étages reliés par des passerelles aux rambardes de fer, le tout peint de blanc et de vert.
Cellule 149, une porte en bois avec un judas s’ouvrît et je rentrai dans ma dernière demeure… Une cellule sans âme, froide, avec juste une tablette pliante, une chaise accrochée au mur par une chaîne, une ampoule, un WC au coin, un lit en fer avec paillasse que l’on pouvait relever le jour afin d’avoir plus d’espace dans ces 8m2, une fenêtre à barreaux d’ou on pouvait sentir l’air frais et libre du dehors… Et quatre murs d’un blanc étincelant, tellement blanc que je décidai d’y écrire mon passage :
Maurrier Raoul condamné à mort par le tribunal Militaire Allemand le 6 juin de Toulon dirigé sur Paris pour exécution le 16 août
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Lettre :
Ma chère et tendre femme,
Aujourd’hui, on me permet d’écrire une lettre étant condamné à être exécuté le 16 août, je sais que cela fais deux mois que tu es sans nouvelle de ma part et je suis triste car je sais aussi que lorsque tu liras cette lettre, je ne ferai plus partie de ce monde.
Mon Amour, je te laisse le fardeau d’élever seule nos trois enfants adorés du mieux que tu pourras et je te fais confiance pour cela. Je te prie d’avoir du courage, beaucoup de courage.
Je te remercie pour ces quelques années de bonheur que tu m’as données…
Je t’aime ma femme, embrasse fortement nos 3 enfants, parle leur de moi afin qu’ils ne m’oublient pas et explique leurs pourquoi je me suis battu : pour eux, pour vous, afin d’avoir un avenir sans ces foutus Boches… Je te laisse choisir les mots afin d’expliquer à ma mère ma future destination et le fait qu’elle ne reverra plus son fils…
Tu trouveras là où tu sais tout le nécessaire afin d’affronter l’avenir…
Je t’aime.
Ton Raoul.
Le 13 août, je suis gracié, j’échappe à mon exécution sans savoir le pourquoi du comment mais je ne veux pas en savoir plus… Je suis LIBRE et je suis vivant. J’écris sur le mur, à la suite de mon précédent texte :
gracié 3 jours avant Vive la liberté ! demain je pars pour Toulon embrasser ma femme chérie et mes 3 enfants adorés
Matthieu, Fresnes 2018