25.10.18

Atelier écriture Fresnes 3

Jules Henry
Je suis né le 15 octobre 1924 à Oignies dans le Pas-de-Calais. Je suis marié avec Laura depuis 4 ans et père de deux enfants, Julien et Marc. J’ai commis un attentat contre les Allemands le 16 avril 1942, pour lequel j’ai été condamné à mort.
Ma participation à la Résistance a commencé il y a plusieurs années maintenant, suite au meurtre de mes parents par les Allemands. Cet évènement m’a marqué et m’a fait très mal. Mes parents habitaient dans le village d’Oignies. Ils étaient juifs. Les Allemands ont envahi tout le village le 26 mai 1940, ont fait sortir tous les habitants de leurs maisons, les ont alignés devant leurs portes et les ont mitraillés. Ce jour-là, j’étais venu rendre visite à mes parents avec le plus grand de mes fils et je m’étais caché dans le placard de mon ancienne chambre avec lui. Nous avons tout entendu : les détonations et les cris. Nous sommes restés cachés pendant 3 jours dans le noir, sans manger et sans boire. Nous transpirions, effrayés, il faisait tellement chaud là-dedans. Il y avait beaucoup de coups de feu, des gens qui criaient. Soudain nous avons senti de la fumée et nous sommes sortis de notre cachette, car nous n’arrivions plus à respirer. Notre maison avait pris feu, il y avait de grandes flammes et toute la maison s’effondrait avec tous nos souvenirs. Mon fils pleurait car son doudou était resté à l’intérieur, mais impossible de revenir sur nos pas. Dehors, nous avons trouvé nos deux parents allongés dans une mare de sang devant le portail de la maison. Je suis tombé à genoux, abasourdi, puis je me suis relevé et nous avons suivi un groupe de villageois qui avaient survécu et qui fuyaient le village.

Par la suite, J’ai pris contact avec un ami qui travaillait dans les chemins de fer et qui m’a proposé de rejoindre son groupe.
Ça m’a donné l’une idée de commettre un attentat pour saboter la ligne SNCF Paris-Cherbourg. Pendant la nuit du 16 avril 1942, entre Mezidon et Caen, au 222,04 km exactement, j’ai déboulonné le rail que j’ai déporté sur 50 cm. Quand le train composé de 10 voitures est arrivé à 90 km/heure, il est sorti de ses rails, il a labouré le balaste pendant 60 m, puis buté contre un talus et a fini par se coucher sur le côté. Deux voitures ont été pulvérisées, entraînant la mort de 26 militaires allemands et en blessant une quarantaine. Voilà, j’avais enfin vengé mes parents en tuant tous ces allemands ! Avec les camarades, nous avons volé un camion allemand pour aller se cacher en Bretagne à Dinard chez un ami, mais il y avait un barrage allemand sur la route. Nous nous sommes fait arrêtés et nous avons été questionnés par les Allemands qui nous torturés pendant plusieurs jours. J’ai fini par avoué que j’avAis commis le sabotage du Paris-Cherbourg avec les permissionnaires allemands, puis j’ai été conduit en prison.
Une fois arrivée à Fresnes j’ai été mis dans une cellule de 9m2 dans laquelle je faisais les 100 pas. J’ai commencé à écrire sur le murs, j’ai ouvert la fenêtre pour parler avec les détenus et j’ai même réussi à me mettre un surveillant dans la poche qui me ramenait à manger en cachette. Il était très gentil avec moi et j’en ai profité pour qu’il transmette un premier message à ma femme afin qu’elle ne s’inquiète pas, qu’elle sache que j’étais incarcéré à la prison de Fresnes et que tout allait bien, bien qu’en réalité je vivais mal d’être enfermé, loin de mes proches, où chaque bruit de serrure me fait craindre que ça ne soit mon dernier jour.
J’ai comparu devant un tribunal allemand, j’ai été condamné à mort mais avant mon exécution, j’ai écrit une dernière lettre à ma femme :

    Chère Laura,
    Je suis incarcéré à Fresnes. Je vais mourir dans quelques heures. Prends soin des enfants, fais en sorte qu’ils deviennent des hommes forts, honnêtes et matures. Dans notre maison, dans la cuisine, tu trouveras une boîte noire avec de l’argent. Récupère-le et fuis le pays avec les enfants, loin des Allemands. Je n’ai pas peur de mourir. Je suis heureux de sacrifier ma vie pour la Résistance et pour vous. Prenez soin les uns des autres. Je vous embrasse. À jamais. Ton bien aimé Jules.

Mankan, Fresnes 2018