25.10.18

Atelier écriture Fresnes 2

Fernand de Stains

Je me situais en 1940, au début de l’invasion de la France par les Allemands. J’ai tout perdu un beau matin. Mon emploi d’instituteur, ma femme juive et notre unique enfant. Quand j’ai appris que les Allemands nous envahissaient, je me trouvais à l’école où j’enseignais. Ma femme et mon fils étaient sortis après mon départ pour se promener et faire des courses. C’était la dernière fois que je les voyais, ils ne sont plus jamais rentrés à la maison. Inquiet, je quittai le travail pour rentrer les chercher. À mon arrivée, surprise, les Allemands avaient déjà commis des massacres et je ne savais pas s’ils avaient réussi à fuir avec d’autres ou s’ils faisaient partie des personnes tuées.
Mon village a été envahi tout au début car il se trouvait du mauvais côté de la ligne de démarcation. Je vis une grande partie des villageois se faire lyncher, chasser, violer par les soldats, torturer et exécuter en place publique. À la vue de ces horreurs à répétition durant des mois (les cris des personnes torturées chaque nuit, suivis d’un silence de mort au petit matin ; les retentissements des tirs du lever de soleil jusqu’à la nuit tombée pour les exécutions ; et enfin, le pire, devoir vivre près des fosses communes remplies de nos femmes et de jeunes villageois afin d’être brûlés, y compris les nourrissons), je décidai de me mettre à cacher les plus démunis dans le sous-sol de ma maison dont la trappe d’accès était bien dissimulée. Le village ressemblait de plus en plus à un four. Près des fosses, on retrouvait généralement des femmes dévêtues dont les corps n’avaient pas été carbonisés. Certaines agonisaient sur et sous les amas de cadavres après avoir été violentées sexuellement à plusieurs reprises par les SS. De pareilles abominations me paraissaient invraisemblables, mais je ne peux les nier car malheureusement j’y ai assisté.
Après seulement une semaine, la cave fut pleine. Afin d’avoir un plus grand impact sur le déroulement de cette guerre, j’ai voulu rejoindre la France libre. Mais je ne pouvais partir en laissant ces pauvres gens qui avaient tant subit durant ces derniers mois. Je décidai donc de les confier à un copain d’enfance, Fred, qui vivait au coin de la rue, mais pour cela il devait habiter ma maison pour ne pas paraître trop suspect. Car les soldats allemands patrouillaient jour et nuit, ce qui empêchait un déplacement chez des voisins, particulièrement pour les plus handicapés.
Fred accepta sans rechigner et, maintenant que j’y pense, il n’avait jamais accepté quoi que ce soit venant de ma part, sans avoir son mot à dire. Mais je ne me suis pas méfié et nous avons pris alors la décision de nous donner rendez-vous le lendemain aux aurores, avant mon départ pour rejoindre la Résistance, afin que je puisse le briefer une dernière fois.
La nuit précédant mon départ, après avoir préparé quelques affaires, je m’apprêtais à partager un dernier repas avec les personnes qui s’étaient réfugiées dans ma cave. Nous ne savions pas, si après ça, nous nous reverrions sains et saufs. Nous avons eu raison de célébrer ce dernier soir ensemble, car durant la bénédiction pour passer à table, une personne s’est mise à toquer à la porte sans arrêt. Je me suis levé afin d’ouvrir, après que tout le monde se soit caché. Avant d’arriver à la porte, deux SS ont surgi en la défonçant d’un coup d’épaule, suivis d’un haut gradé Waffen-SS qui foula le sol de ma maison sans dire un mot. Il me fit asseoir par ses seconds et jeta des coups d’œil pour inspecter la pièce où il se trouvait, puis s’approcha de moi calmement. Et d’un air sûr, il me demanda :
— Depuis combien de temps caches-tu nos ennemis ?
Pris de panique et choqué par son assurance, je me savais fait comme un rat, mais aucun mot correct ne sortait de ma bouche, je me suis mis à bafouiller :
— Non, personne…, en me disant qu’ils n’avaient aucune preuve contre moi. Il regarda son second en lui faisant signe d’ouvrir la porte et de faire entrer la personne qui se trouvait derrière. Je vis avancer Fred, mon ami d’enfance, celui à qui je disais tout, qui avait toute ma confiance ! Il nous avait trahis et nous avait dénoncés afin de sauver sa misérable vie. Mais à peine entré, un soldat SS s’approcha derrière lui et, à bout portant, lui mit une balle dans la nuque. Le haut gradé SS me reposa la même question :
— Depuis combien de temps caches-tu nos ennemis ?
J’étais cuit, mais je ne voulais pas qu’ils trouvent les occupants de mon sous-sol. Si eux parvenaient à survivre ce serait une grande joie et victoire pour moi. Après avoir repris mes esprits, je lui répondis brièvement :
— Une semaine.
Il rétorqua :
— Où sont-ils maintenant ?
— Partis ! Ils ont tous fuit le village peu de temps après le début des massacres, de peur pour leurs vies.
Dans un silence glacial, il se dirigea vers la cheminée où se trouvait la trappe qui mène au sous-sol, il mit la main sur l’ouverture au-dessus de la cheminée.
Il se retourna et avant d’ouvrir me dit :
– Ok, si c’est tout ce que tu as à dire alors tu ne me sers à rien. Toutes les informations que tu essaies de dissimuler depuis le début, je les connais déjà. Sache-le avant ton départ.
– C’était Fred qui vous renseignait ?
– Oui. Ton ami qui vient de mourir, un membre de ta patrie t’a trahi. Qu’est-ce que cela te fait ?
– C’était un lâche et un minable, il mérite ce qui lui est arrivé.
– Ok. Maintenant ils vont tous mourir et toi tu vas vivre pour t’en rappeler. Embarquez-le !
A peine passé la porte, escorté par deux soldats, les rafales retentirent, accompagnées de flash lumineux venant de la cave. Ce fut la dernière fois que je vis ce village de Stains (et ses 124 morts).
On m’emmena immédiatement dans le van des SS en direction de Fresnes le 23 novembre 1940. À l’arrivée de ce van, je revivais en boucle chaque exécution que j’avais vu durant cette année d’horreur, en me disant que c’était mon tour, que mon heure était venue. Mais un des fraülein, chargé de mes déférer, se mit à rire et à me faire comprendre que je ne mourrais pas si vite. Qu’à mon arrivée à Fresnes, des soldats de la Gestapo feraient de moi leur objet de torture.
Il ne se trompait pas, durant la semaine qui a suivi mon arrivée, je me faisais frapper du matin au soir, sans qu’ils ne m’adressent un mot. Je n’avais pas de lit dans ma cellule, mon repas était toujours retourné face au sol, mélangé aux excréments des rats, de façon à ce que je ne puisse pas manger ou que je tombe malade.
Mais je n’y touchais pas, je ne me nourris qu’à l’eau pendant 1 semaine.
Après la semaine de torture, ils passèrent aux interrogatoires mais toujours en me frappant brutalement, que je réponde aux questions ou non d’ailleurs.
La plupart des questions portaient sur la Résistance, ses objectifs, la localisation de planques…
Je ne savais rien de tout ça car je n’avais pas pu arriver aux portes de la Résistance, mais ils ne me croyaient pas car Fred leur avait déjà balançait tous mes plans, sans omettre de dire que j’avais fait appel à lui pour garder des réfugiés qui se trouvaient chez moi afin que je puisse être plus actif dans la résistance, ce qui ne joua pas en ma faveur…
Libéré le 15.08.44, 10 jours avant la libération de Paris et la venue du général de Gaulle sur les Champs-Élysées. Voilà mon histoire durant la guerre, qui m’a valut 4 ans d’incarcération à Fresnes.
« Tombé par une salope de copain » !!!

David, Fresnes, 2018